COUECTION D’OBVRAGES

RELATIFS A1EC

SCIENCES HERMÉTIQUES

L’OR

ET lA TRANSflüTATION DES MÉTAUX

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BIBLIOTHEQUE CHACORNAC

II, Q.uai Saint-Michel . Paii»

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L’OR

ET

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

COLLECTION D’OUVRAGES RELATIFS

AUX

SCIENCES HERMÉTIQUES

Sons la direction de M. Jules Lermina

LÔR

ET

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

Par G. Théodore TIFFEREAU

L’Alchimiste du xixo Siècle

Mémoires et conférences précédés

LE

PARACELSE ET L’ALCHIMIE

Au xvio Siècle

Par M. FRANCK

De l’jnstiiut

H.

PRÉFACE

Tout, dans la nature extérieure, se réduit à un changement de forme dans l’agrégation des élé- ments chimiques éternellement invariables (Helmholtz).

En publiant le premier volume de celle collection d'écrits anciens et modernes relatifs aux sciences hermétiques, nous n'obéissons pas au vulgaire désir de faire œuvre de bibliophiles, d'éditer ou de rééditer des livres, étranges par le fond, bigarres dans Informe, souvent difficiles à com- prendre, où se mêlent parfois des fantaisies presque ridi- cules aux conceptions les plus hardies ,d& l'intuition.

Nous visons plus haut et plus loin.

Aujourd’hui l'esprit humain est asse\ nettement délivré de tous préjugés pour ne reculer devant aucune hypothèse : ne se laissant arrêter par aucune superstition ni aucune crainte, il va jusqu'aux extrêmes limites de la logique, estimant qu’à toute constatation acquise, une étude nou- velle peut ajouter un au-delà. Il s’est dégagé surtout de la peur des mots et ne condamne aucune manifestation de l’effort cérébral, sous quelque étiquette qu’elle se présente

Il

PRÉFACE

Alchimie, Hermétisme, Occullisme, ne sont pour lui <fue des rubriques dont les allures mystérieuses ne l’effraient pas. Isis sous son voile peut apparaître comme un être fan- tastique, comme un spectre troublant. Le savant va droit à elle et prétend voir son visage.

Autrefois, à ce met d’alchimie, on frissonnait ou on souriait. Superstition ou scepticisme qui ne sont qu’une seule et même forme de l’ignorance et de la paresse.

On a compris maintenant que l’homme napas le droit de nier ni d’affirmer à priori. Dire que l’alchimie nest qu’un tissu d’erreurs grotesques est aussi absurde que de croire, par un élan de foi, à des miracles indémontrés. Qu’est-ce d’ailleurs qu’un philosophe Hermétique ) Quand, hier encore, William-Thomson, pour établir sa théorie des atomes-tourbillons, fait Jaillir d’un coup de baguette, frappé sur un drap tendu, les anneaux de fumée du chlorhydrate d’ammoniaque, quand Helmholt:{ analyse les mouvements tourbillonnants dans un liquide parfait, c’est-à-fÊre n’existant qu’à l'état d’hypothèse mathémati- que, comme le point en géométrie, quand M. Dupré compte, dans un cube d’eau ayantpour côté un millième de millième, invisible au microscope, un nombre énorme de 22^ millions de molécules, ces savants font oeuvre d’alchi- mistes, et l’ignorant qui les verrait agir, sans compren- dre la portée de leurs travaux, en apparence insignifiants, les taxerait de folie.

PRÉFACE

III

Fous! le mot est bien vile prononcé ! Fou, Démocrle, le grand rieur qui osa dire que : les variétés de to,utes choses dépendent des variétés de leurs atomes, en nombre, dimen- sion et agrégation; Fou, Empédocle qui affirmait l'adapta- tion; fou, Epicure qui niait la mort, fou, Lucrèce qui pro- fessait l'indestructibilité des atomes, impérissables maté- riaux de l'univers !

M. Frémy ne faisail-il pas œuvre d'alchimiste, quand, en faisant réagir au rouge du fluorure de calcium sur de l’alumine contenant des traces de bichromate de potasse, il produisait les cristaux polyédriques du rubis.

Seules, les conditions du travail ont changé. Les souf- fleurs du moyen-âge, toujours en crainte de persécutions, pâlis par la peur du bûcher, se cachaient comme des mal- faiteurs, rêvant la puissance énorme et rapidement acquise qui triompherait de leurs bourreaux. Sur le monde, la catholicité pesait, avec sa négation sinistre de la science, avec son mépris du bien-être corporel, avec sa lourde théorie du sacrifice, avec sa méconnaissance atroce des besoins et des droits de l'humanité.

Le savant se terrait dans sa science, et, si, obéissant à cette passion innée au cœur de l'homme qui le pousse à faire partager ses joies de trouveur à ses semblables, il se décidait à pdrler, encore un ultime vestige de prudence lui conseillait d'employer une langue mystérieuse, arcanienne et cependant, le plus souvent, pour qui sait la déchiffrer.

IV

PRÉFACE

simple en son essence, comme tout ce qui est logique e vrai.

Aujourd'hui, comme l'a dit Tyndall, la science na plus le droit de s’isoler, mais elle combine librement tous les efforts qui tendent vers l'amélioratipn du sort de l’homme.

La grande faute des Hermétistes faute qui ne peut leur être imputée à crime, car ils étaient écrasés sous le joug de fer de l’ignorance et de la tyrannie intransigeante, c’est d’avoir reculé devant la généralisation des principes. Ils s'arrêtaient, inquiets, au seuil de la vérité, sans oser le franchir, s'attardant à des recherches parfois enfantines comme des jeux. C’est qu’ aussi la Bible les enserrait, les pères de l'Église les étouffaient, et beaucoup, victimes res- pectables, mouraient de ne pouvoir travailler librement.

Ce qu'il faut considérer en ces philosophes,ce sont moins les applications qu’ils font de leurs théories que l’idée pre- mière qui les leur dictait. En les écrits de chacun d'eux, il y a, sous la forme, le fond, la base, le substratum. Lorsque Bacon appelait le son un mouvement spirituel, peut-être proclamait-il un/ des axiomes de l'avenir)

Ne retrouvons-nous pas tous les éléments de la science alchimique dans les expériences de Norman Lockyer, prouvant par ses études spectroscopiques, que dans lés étoiles les plus chaudes, on ne trouve que de l'hydrogène pur, tandis que dans celles moins chaudes, les métaux.

PRÉFACE

V

puis les métalloïdes apparaissent, et que sur la terre, enfin, hydrogène, métaux et métalloïdes ne se trouvent jamais à l'état parfaitement pur, mais en des combinaisons plus ou moins complexes. Qu est-ce donc que cet hydrogène, sinon l’Absolu des alchimistes, et quelle preuve presque concluante de la réduction possible de la matière en son principe un et primordial )

Aujourd’hui on peut professer hautement le dogme de l’unité de la matière : en expérimentant avec de l’alcool ou de l’huile, on acquiert la démonstration irrécusable de la création du système solaire, par fragmentation d’une masse unique.

Mais l’hydrogène est-il l’extrême point de départ de ce que nous appelons improprement les corps simples )

Les spectres phosphorescents ont montré en l’atome un système chimique complexe dont les éléments constituants peuvent être dissociés. Huggins, Lecoq de Boisbaudran ont vulgarisé celte vérité que seule aujourd’hui la mauvaise foi pourrait révoquer en doute.

Mais l’atome étant corps composé, qu’y a-t-il au delàï que seraient ses éléments constituants ï Seraient-ils multi- ples ou se rapporteraient-ils à un élément unique ï A cette question William Crookes répond hardiment: Je me hasarde à conclure que les éléments des soi- disants corps simples que nous connaissons, sont en réalité des molécules composées. Je vous demande pour que vous

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PRÉFACE

ayie^ une concepiion de leur genèse, de reparler notre es- prit à travers les âges, vers le temps l'univers était vide et sans forme, et de suivre le développement de la matière dans les étals à nous connus d'après quelque chose d'anté- cédent. Je propose d'appeler protyle ce qui existait avant nos éléments, avant la matière telle que nous la connais- sons à présent.

Cette idée de matière première, de protyle, préexiste dans tous les esprits raisonnants. C'est ainsi que Descar- tes parle d'un fluide universel pareil à une liqueur la plus subtile et la plus pénétrante qui soit au monde.

M. Berthelot, il y a quinze ans déjà, ne reculait pas devant l'hypothèse de la décomposition des corps simples ; si les moyens dont nous disposons aujourd'hui, disait-il, restent encore impuissants, rien n'empêche de supposer qu'une découverte nouvelle, semblable à celle du courant voltaïque, permette aux chimistes de l'avenir de franchir les limites qui nous sont imposés: tout en se refusant à ad- mettre la nécessité logique de l'Unité de la matière, l'émi- nent chimiste reconnaissait la vraisemblance de la transmu- tation des éléments actuels les uns dans les autres.

Les recherches sur la thermochimie, en introduisant dans la science l'idée de dissociation, ont porté un coup décisif aux préjugés surannés, notarnment à l'hypothèse de l'affi- nité.

De la dissociation à la synthèse, la marche est logique,

PRÉFACE

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el l’idée de la Iransmutaiion des mélaux ou plutôt de leur constitution par le perfectionnement de V élément protylique s'impose d'elle-mcme.

M. E. Varenne ne disait-il pas, il y a trois ans :

Comprime^ de l'hydrogène jusqu’à edux cent mille atmosphères et vous aure\ un lingot d’or pur.

De cette analyse de la matière à l'analyse de la Vie, le pas sera bientôt franchi.

A quelle hauteur ne s’ élève pas la science moderne quand, regardant face à face les grands problèmes organiques, elle dit avec Claude Bernard :

Les phénomènes dans les corps bruts et dans les corps vivants ont pour conditions les mêmes éléments et les mêmes propriétés élémentaires. C'est la complexité de l'ar^ rangement qui fait la différence.

Descaries avait d'ailleurs affirmé déjà avec une audace géniale que la vie n'est qu'un résultat plus compliqué des lois de la physique et de la mécanique.

Peut-être, et c'est ici qu'interviennent l'Hermétisme et l’Occultisme, existe-t-il dessubslancesprotyliennes, en quel- que sorte tellement diluées que de matérielles elles passent à un autre état que, sans notion exacte, nous appellerions dès à présent spirituelles, transformation dont la formation des ga\ ou la naissance de l'électr'icilé nous fournissent des similarités probables. L'esprit n'est-il pas un état essentiel, spécial de la matière, un hyper-protyle, doué de facultés

VIII

PRÉFACE

actives dont nous ressentons les effets, sans qu'il nous soit encore possible d'en déterminer la nature )

De tout temps, ces problèmes ont préoccupé les hommes d'élite et il serait injuste de nier que peu à peu leurs re- cherches et leurs découvertes ont changé l'axe de la science.

Quelqu'un oserait-il aujourd'hui taxer de folie, de char- latanisme ou de mensonge Crookes ou Gibier ) Qui ose- rait affirmer que Katie-King n'est point apparue ï

Il nous paraît plus qu'intéressant, il nous semble utile de placer à nouveau sous les yeux des hommes de bonne foi ces œuvres, presque toutes introuvables qui constituent les pièces du grand dossier hermétique, de ce procès, jugé par l'ignorance, mais toujours sujet à révision. Nous avons la conviction que, dans des opuscules mal connus et mal étudiés, tels que le Miroir d' Alchimie de Roger Bacon ou l’Elixir des philosophes attribué au pape Jean XXII, le vrai chercheur saura dégager le diamant de sa gangue.

Et combien d'autres œuvres dédaignées !

En vérité, quand on comprendra les œuvres de Sweden- borg, d'Hœné ~Wronski, de Louis Lucas, de Fabre d'Oli- vet, des horizons nouveaux, immenses, s'ouvriront devant les esprits.

Et qu'on n'oublie pas que nos savants, fussent-ils de l'Institut, sont les fils, trop souvent ingrats, des Hermétis- ies. Peut-être, comme le veulent les sage du Thibel, sont-

PRÉFACE

IX_

ils les élèves inconscienls des savants de quelque AI lantide disparue, les écouteurs encore à demi sourds d'échos, se propageant depuis les catastrophes antiques de la machine cosmiqul.

La collection des écrits, relatifs aux sciences hermétiques sera, en peu de temps, le vade-mecum de ceux qui, hors de tous préjugés admettent le possible, même avant le vraisemblable.

Jules Lermina.

Mai 1889.

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PARACELSE

ET UALCHIMIE

AU XVP SIÈCLE

Par M. FRANCK

MEMBRE DE l’ ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

Lu à la séance publique annuelle des cinq Académies, le 25 octobre 185;.

Si l’alchimie n’avait jamais eu pour objet que ce dou- ble rêve de la cupidité et de la faiblesse, le secret de convertir tous les métaux en or et celui de prolonger à volonté la vie humaine dans un corps exempt de dou- leurs et d’infirmités, je me garderais bien d’évoquer le souvenir d’un art aussi chimérique, et, s’il ne l’était pas, aussi dangereux. Mais elle s’est proposé, à un certain moment, un but plus élevé et plus sérieux. Entraînée par ses illusions mêmes à la recherche, quelquefois à la découverte du vrai, elle a préparé la régénération des sciences naturelles, en les poussant, du côté des faits, dans les voies de l’expérience et de l'analyse, et en les rattachant par leurs principes aux plus hautes spécula- tions de la métaphysique. A ce titre, elle pourra exciter

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l’alchimie au xvi'" siècle

quelque intérêt dans un temps qui est à l’épreuve de ses erreurs et qui se pique de justice envers les siècle passés.

L’origine de l'alchimie, comme celle de la plupart de nos connaissances vraies ou fausses, se perd dans un nuage. Cependant il est difficile de la faire remonter avec quelques adeptes jusqu’à Mezaraïm, fils de Cham et pre- mier roi d’Égypte, ou jusqu’à l’auteur supposé duPæ- mander, ce prétendu monument de la mystérieuse sa- gesse des prêtres égyptiens, Taut Hermès Trismégiste. Le titre de philosophie hermétique, sous lequel on dési- gne l’alchimie, et la ressemblance de ce dernier nom avec celui de Cham, le patriarche de l’Afrique, ne pa- raîtront à personne une garantie suffisante de cette véné- rable antiquité. On reconnaîtra peut-être un premier essai de chimie générale dans quelques-uns des plus an- ciens systèmes philosophiques de la Grèce : dans les ato- mes de Leucippe et de Démocrite, ressuscités, avec des attributions plus modestes, par la science contempo- raine; dans les quatre éléments d’Empédocle, qui conti- nuent de désigner sinon les principes, au moins les diffé- rents états de la matière, tantôt solide comme la terre, tantôt fluide comme l’air, liquide comme l’eau, impalpa- ble, c’est-à-dire impondérable, comme le feu ; et enfin

PARACELSE

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dans la théorie plus savante des homéoméries d’Anaxa gore. Mais, il y a loin de à faire de Démocrite un alchimiste, disciple des prêtres de Memphis, du mage Ostanes et d'une certaine Marie, surnommée la Juive, dans laquelle, franchissant une distance de dix à douze siècles, on a reconnu la sœur de Moïse. Cependant n’a- vons-nous pas les ouvrages que le philosophe abdéritain a composés sur le grand arl, sur Vart sacré, comme il l'appelle r Oui, sans doute ! Mais ils méritent le même degré de confiance que ceux de Taut lui-même, du mage Ostanes, de la prophétesse Marie, qui sont également entre nos mains, avec beaucoup d’autres, signés des noms d’Aristote, du roi Salomon et de la reine Cléopâtre.

Ce qui est certain; c’est que la foi dans l’alchimie était déjà accréditée au commencement de notre ère ; car nous lisons dans ï Histoire naturelle de Pline (i) que l'em- pereur Caligula réussit à tirer un peu d’or d’une grande quantité d’orpiment ; mais que, le résultat ayant trompé son avidité, il renonça à ce moyen de grossir son trésor. Un autre fait qu’on peut affirmer avec confiance, c’est que la science alchimique a pris naissance en Égypte, sous l’influence de ce panthéisme moitié métaphysique, moitié religieux, qui s’est formé à Alexandrie, durant les (i) Histoire natur. liv. XXXIII, chap. 4.

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l’alchimie au xvi° siècle

premiers siècles de l’ère chrétienne, par la rencontre de la philosophie grecque avec les croyances exaltées et les rêves ambitieux de l’Orient. On remarque, en effet, qu’a- près les personnages fabuleux ou manifestement anté- rieur? à cet ordre d’idées, les premiers noms invoqués par la philosophie h-ermétique sont des noms alexandrins : Synésius, Héliodore, Olympiodore, Zosime. Ajoutez cette tradition rapportée par Orose (i) au commence- ment du v‘" siècle, et recueillie par Suidas (2), que Dio- clétien, ne pouvant venir à bout des insurrections multi- pliées des Égyptiens, ordonna la destruction de tous leurs livres de chimie, parce que était, selon lui, le secret de leurs richesses et de leur opiniâtre résistance. Enfin, c’est à un philosophe d’Alexandrie, à un philosophe chrétien, probablement à la manière de l’évêque de Pto- lémaïde, le disciple d’Hypathie, que les Arabes se disent redevables de toutes leurs connaissances alchimiques. Ce personnage, appelé Adfar, florissait pendant la pre- mière moitié du viP siècle, dans l’ancienne capitale des Ptolémées, avec la réputation de posséder tous les se- crets de la nature, et d’avoir retrouvé les écrits d’Hermès sur le grand art. C’est lui vraisemblablement qui en est

(1) Historiarian adversus paganos, lib. VII c. 16.

(2) Voir son Lexique, au mot Chimie.

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l’auteur.’ Sa réputation s’étendit jusqu’à Rome, d’où elle attira vers lui un autre, enthousiaste, un jeune homme du nom de Moriénus, qui, admis dans la confiance d’Adfar et initié à toute sa science, la communiqua, vers la fin de sa vie, au prince Ommiade Khaled, fils du calife Yezid, devenu le souverain de l’Egypte après la conquête de ce pays sur les empereurs de Constantinople (i). Dès ce moment, l’alchimie devient mulsulmane, sans cesser de respirer l’esprit qui avait soufflé sur son Jaerceau. Le premier écrivain qu’elle produisit chez les Arabes, le fa- meux Geber, ou plus correctement Djâber, à Koufa, sur les bords de l’Euphrate, au commencement du xin® siècle, appartenait à la secte des sofis, héritière directe et jusqu’à un certain point, écho fidèle du mysticisme alexandrin. Cette alliance est facile à expliquer. En ad- mettant, dans l’ordre philosophique et religieux, qu’il n’y a qu’une substance unique des êtres, ou qu’il n’y a qu’un seul être sous des formes infiniment variées, comment s’empêcher de croire que la sphère de la na- ture et de l’industrie humaine, que tous les corps dont ce monde est composé ne sont que des combinaisons et des

(i) Voir le savant ouvrage de MM. Reinaud et Favé, Du feu grégeois, des feux de guerre et des origines de la poudre à canon, in-8<> ; Paris, 1845.

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l’alchimie au XVl'’ SIÈCLE

états différents d’un seul corps ; que tous les métaux, pourvu qu’ils soient soumis à un agent assez puissant peuvent être ramenés à un métal unique qui est leur type commun et leur plus’ haut degré de perfection ? Tel est, en effet, le principe d’où est sortie Talchimie, par lequel elle se lie d’abord au panthéisme mystique des Grecs d’Alexandrie et des sofis de la Perse.

Mais peu à peu à mesure qu’on s’éloigne de l’anti- quité et que les croyances nouvelles prennent un carac- tère plus ferme, ce principe se dérobe aux regards, et l'alchimie, au lieu de tenir sa place dans un système gé- néral des connaissances humaines, devient un art tout à fait isolé, un empirisme étroit, auquel il ne reste plus que le champ des illusions et des aventures. Telle nous la rencontrons, au commencement du siècle, chez Razi, vulgairement Rhazès, ce médecin fameux, qui, se vantant de faire de l’or, ne put trouver une somme de dix pièces d'argent, promise en dot à sa femme, et dut subir l’humiliation de la prison pour dettes ; qui, possé- ' dant un secret pour soustraire l'homme à toutes les ma- ladies, et même aux infirmités de la vieillesse, ne put empêcher une cataracte de fermer ses yeux à la lumière. Telle nous la trouvons encore, un siècle plus tard, chez un autre auteur fréquemment cité, et probablement aussi

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un médecin arabe, Artephius ou Artèphe, qui a bien pu servir de modèle au comte de Saint-Germain ; car il s’at- tribue comme lui une existence de mille ans, due à l’é- lixir de longue vie.

L’alchimie, en passant des musulmans chez les au- teurs chrétiens du moyen-âge, ne change pas de caractère et l’on peut douter qu’elle se soit beaucoup enrichie en- tre leurs mains de ces découvertes imprévues dont lachi- mie a hérité. Ainsi, par exemple, c’est une erreur d’at- tribuer à Roger Bacon l'invention de la poudre à canon. La composition désignée en termes énigmatiques par le célèbre franciscain a été décrite avant lui, avec beaucoup d’autres, par Marcus Græcus (i) et les auteurs arabes. On conçoit que la même horreur qui poursuivait les ma- giciens atteignait aussi les alchimistes, confondus avec eux par l'ignorance populaire, et que la longue captivité infligée à Roger Bacon ne devait pas encourager leurs expériences. Du moins est-il certain que l’alchimie, pour parler le langage du temps, n’est qu’un accident dans la scholastique : elle ne se rattache par aucun lien aux prin- cipes, et n'entre par aucune porte dans les cadres de cette étude. Les objets de ses recherches sont, comme auparavant, la pierre philosophale et le fameux élixir, dont I. Liber igniuni ad ccnibitrendos hosles : id ; Paris, 1804.

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l’alchimie au XVI® SIÈCLE

personne, à ce moment, pas plus saint Thomas et Albert le Grand que Raymond Lulle et Arnauld de Villeneuve, ne songe à contester l’existence. Ce n’est qu’à l’époque de la renaissance des lettres, dans le cours du xv® et du XVI® siècle, que, choisissant pour son point d’apppi la phi- losophie, ou du moins un système philosophique, et pour son champ d’opératiojis la nature entière, elle s’efforce non-seulement de prendre rang parmi les sciences, mais de les employer toutes à son usage. Voici comment cette révolution s’accomplit.

Le moyen âge, sauf quelques essais de résistance étouffés à l’instant, avait vécu tout entier dans les espa- ces surnaturels de la foi ou dans les arides abstractions de la logique, admise comme par grâce à exposer et, pour ainsi dire, à détailler le dogme. La renaissance, justement maudite par les partisans de ce régime, c’est le retour de l’esprit humain à la nature, dans toutes les carrières ouvertes à l’emploi de ses facultés. Il se trompe souvent et passe à côté d’elle ; mais c’est elle toujours qu’il cherche, même dans les plus grossières supersti- tions. Il admire la peinture des sentiments naturels dans les chefs-d’œuvre littéraires des anciens, et la raison naturelle dans leurs systèmes philosophiques. Il reven- dique le respect du droit naturel dans les institutions et

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les lois.. Il assure la défense des intérêts naturels en réclamant, pour la société civile, une existence distincte et indépendante de la société religieuse. Enfin, dans les arts, l’enthousiasme naïf, les saintes inspirations qui seules l’avaient captivé, cessent de lui suffire, et il faut qu’à la beauté de l’expression viennent se joindre la forme et la vie, l’imitation fidèle de la nature. Quel autre ordre d’idées devait entrer dans ce mouvement d’une manière plus directe et plus irrésistible, que l’étude de la nature proprement dite ou l’ensemble des sciences physiques? Il est vrai qu’on rencontre au moyen- âge, à partir du xii® siècle, quelques connaissances par- tielles d’astronomie, d’anatomie, de minéralogie, em- pruntées à l’érudition arabe, qui, elle-même, avait puisé dans l’antiquité grecque ; mais nulle part ces connais- sances ne sont reliées en un faisceau ; et ce qui porte alors le nom de physique n’est qu’un texte à allégories, comme dans VHexaméron d’Abélard ; ou une imitation du Timée, d’après la version de Chalcidius, comme dans le traité du monde (le Macrocosme) de. Bernard de Chartres ; ou une argumentation purement logique sur la matière et sur la forme, le temps, le mouvement, l’infini, l’éternité, comme chez les maîtres les plus, célè- bres du xiii° et du xiv“ siècle, quand ils commentent

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l’alchimie au xvi° siècle

et développent la physique d’Aristote. Une science ayant pour but d’étudier l’univers comme un seul tout, de saisir les rapports qui unissent toutes ses parties, de surprendre dans leur activité même les principes et les causes des phénomènes, pour les observer ensuite dans leurs plus mystérieuses opérations: en un mot, une philo- sophie de la nature, .fondée sur l’examen des choses, non sur la discussion des vieux textes, et osant avouer nettement son dessein : une telle idée n’existe pas avant l’ère de la renaissance, et c’est dans les livres d’alchimie qu’il faut aller la chercher.

Le mysticisme oriental venait de reparaître sous toutes ‘es formes : dans la kabbale, restaurée par Reuchlin et Pic de la Mirandole; dans le pythagoricisme alexandrin, remis au jour et développé avec imagination par le cardi- nal Nicolas de Cusa ; dans le néoplatonisme, importé en Italie par Gémiste Pléthon, puis propagé dans tout l’Oc- cident par les écrits de Marsile Ficin. Surpris par cette- lumière, qui avait éclairé le berceau de leur art, et restés fidèles néanmoins aux dogmes de la création et de la liberté humaine, ces deux bases de leur éducation mo- rale, les alchimistes commencèrent à voir la nature d’un point de vue nouveau, également éloigné du panthéisme antique et des allégories ou des abstractions du moyen

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âge. Elle apparut à leurs yeux comme un immense labo- ratoire où la nature toujours en fusion, et, pour parler leur langage, toujours en fermentation, est modifiée de mille manières, est revêtue de mille formes par des ar- tistes invisibles placés sous la main d’un maître suprême. Ces artistes, ce sont les forces qui font mouvoir le monde et qui animent toutes ses parties, depuis les astres sus- pendus dans l’espace, jusqu’au moindre grain de pous- sière ; ce sont les principes immatériels qu’on découvre partout, lorsqu’on ne veut point admettre d'effets sans causes ; dans les êtres organisés, comme la source de la forme et de la vie ; dans la matière brute, comme la cause du mouvement, de la cohésion des éléments et de leurs affinités électives. En effet, tout corps, dans le système qui nous occupe, fut associé à une cause, à laquelle il devait sa composition et son développement intérieur. Chaque organe important dans les animaux eut son archée ou son principe particulier d’’organisation et d'action. Mais tous ces agents n'étaient pas isolés dans les diffé- rents corps dévolus à leur puissance ; ils étaient appelés, dans un ordre hiérarchique, à exercer leur énergie, ou, pour me servir d’une expression consacrée, à imprimer leur signature les uns sur les autres, les astres sur les ani- maux et les plantes, ceux-ci sur les métaux, et en géné-

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ral l'âme sur les organes, l’esprit sur la matière. Djeu, créateur de la nature, habitait au-dessus d'elle, sans ces- ser de lui verser sa lumière et sa force, ?a sagesse et sa puissance. Tout ce qu'elle renferme était signé de son nom. L’homme, image de Dieu et résumé de la création demeurait libre au milieu de ce travail universel, dont il cherchait à surpendre tous les secrets, et qu’il imitait pour son usage, en même temps qu’il y trouvait, pour des fa- cultés plus élevées, un objet de sublimes contemplations.

Telle fut l'alchimie à son dernier période de dévelop- pement, bien qu’elle restât toujours, pour la foule obs- cure des_adeptes et dans la pensée de la multitude, l’art de convertir les métaux. Ce n'est pas en un jour qu’elle a atteint cette hauteur. Ce n’est pas une seule main qui l’y a portée. Mais l’homme à qui elle doit le plus, le premier qui ait coordonné ses principes en système, et, non content de les avouer ou de les pratiquer pour son compte, ait tenté de les introduire dans l’enseignement public, à la place des vieilles doctrines, c’est Paracelse. Il est donc juste que nous nous arrêtions devant ce hardi réformateur, qui, après avoir inspiré une admiration fa- natique et des haines implacables, devenu l’objet d’un dédain immérité, attend encore une appréciation calme et impartiale.

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Théophraste Paracelse sont les noms sous lesquels il s'est rendu célèbre ; mais ce sont des noms d'emprunt, comme les savants de cette époque en prenaient souvent pour frapper l’imagination de la foule et chatouiller leur propre vanité. Je soupçonne fort, quoique le fait, à la distance nous sommes, soit difficile à vérifier, qu'il n’avait pas plus de droits au titre et au blason des Ho- henheim, une ancienne et très noble maison dont il se prétendait issu. Il s’appelait Philippe Bombast ; et comme son père, pauvre médecin de village, s’était déjà occupé d’alchimie, c’est de lui sans doute qu’il reçut, par allusion au grand œuvre, le surnom d’Auréolus. 1} naquit, en 1495, à Einsiedeln, ou Notre-Dame des Er- mites, dans le canton de Schwitz, et non pas, comme on l’a dit pat erreur, à Ga’fss, dans le canton d’Appenzel : car lui-même, dans ses écrits, se nomme quelquefois l’hérésiarque, l’âne sauvage d’Einsiedeln. Après avoir reçu de son père et de deux fameux alchimistes du temps l’abbé Tritheim et Sigismond Fugger, les premières no- tions du grand art, il se mit à voyager, gagnant sa vie tantôt en chantant des psaumes dans les rues comme Luther avait fait, tantôt en prédisant l’avenir par l’astro- logie, la chiromancie et l’évocation des morts ; tantôt en échangeant contre un morceau de pain le secret de faire

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de l’or. Il parcourut ainsi toute l'Europe, du nord au midi et de l’est à l’ouest. Il assure même avoir été à CorlStantinople, et avoir poussé de ses pérégrinations aventureuses jusqu’en Tartarie et en Égypte, afin de re- monter à la source de la science hermétique. Mais l’exercice des arts imaginaires n’était pour lui qu’un moyen d’augmenter ses connaissances réelles. Il visitait en passant les plus célèbres universités de la France, de l’Italie et de l’Allemagne ; il étudiait dans les mines de la Bohême et de la Suède la minéralogie et la métallurgie; et, se préparant dès lors à l’exercice de la médecine, il comparait avec l’enseignement officiel des facultés, l’ex- périence naïve du peuple, les recettes des vieilles femmes et des barbiers de village. Après avoir mené cette vie errante pendant dix ans, n’ouvrant pas un livre, mais cherchant la vérité dans la nature et dans la parole vi- vante de ses semblables, il retourna en Allemagne, sa réputation d’habileté et de savoir le plaça bientôt au premier rang parmi les médecins. Comme il promettait de guérir des maladies jusque-là jugées incurables, on venait de tous côtés le consulter ; car souvent la douleur ne cherche qu’à se tromper elle-même, et sait gré à l’homme de l’art de lui laisser l’espérance. Paracelse eut l’honneur de compter parmi ses clients Erasme et

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CEcoIampade. C’est sur la recommandation de ce der- nier qu’il fut appelé, en 1526, à l’université de Bâle, comme professeur de physique et de chirurgie. Rien ne le peint mieux que la manière dont il prit possession de sa chaire. Dès son entrée dans l’amphithéâtre, se pressait une foule impatiente de l’entendre, il réunit en forme de bûcher les différents livres qui servaient alors de texte à l’enseignement de la médecine, puis, y ayant mis le feu, il les regarda tomber en cendre et s’envoler en fumée. C’était, dans sa pensée, une ère qui venait de finir, une autre qui venait de commencer.

Après un tel début, il ne lui restait rien à ménager. Aussi ne met-il point de bornes à son enthousiasme de réformateur et à son orgueil de savant ; l’un et l’autre lui troublent la tête comme les fumées de l’ivresse. « Ce n’est pas à moi, écrivait-il dans la préface d’un de ses ouvrages (i), et probablement il tenait le même langage devant ses auditeurs, ce n’est pas à moi de marcher derrière vous, c’est à vous de marcher derrière moi. Sui- vez-moi donc, suivez-moi, Galien, Rhasès, Montagnana Mesueh, etc., suivez-moi ! Et vous aussi, messieurs de Paris, de Montpellier; vous de la Souabe, vous de la

!• Préface du livre Paragranuin, dans le tome II, p. 10, de l’édition allemande de Huser; 10 vol. in-4'>; Bâle 1589-91.

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Misnie, vous de Cologne, vous de Vienne, et tout ce qui habite les plaines du Danube, les bords du Rhin, les îles de la mer; toi Italien, toi Dalmate, toi Athénien, toi Grec, Arabe ou Israélite, suivez- moi ! Je suis votre roi, la monarchie m'appartient; c'est moi qui gouverne et qui dois vous ceindre les reins. » Un peu plus loin il écrit ; « Oui, je vous le dis, le poil follet de ma nuque en sait plus que vous et tous vos auteurs ; et les cordons de mes souliers sont plus instruits que votre Galien et votre Avicenne, et ma barbe à plus d’expérience que toutes vos universités (i). »

On a prétendu que Paracelse, en le prenant de si haut avec la science de son temps, méprisait ce qu’il ne con- naissait pas, et l’usage qu’il adopta de faire ses leçons et d’écrire ses ouvrages en allemand a fait croire que le latin même lui était étranger. Ces suppositions sont dé- nuées de fondement. Lorsqu’on a eu le courage de vivre quelque temps avec lui, on voit que Paracelse n’ignore absolument rien de ce qu’on enseignait communément dans les universités du xvi® siècle ; qu’il parle avec beau- coup de sens de Pline, de Quintilien, d’Aristote, de Platon et des anciens en général; et que les livres latins, les phrases latines de sa façon qui sont incorporées dans I. Ubi supra, p. i8.

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ses œuvres allemandes peuvent passer généralement pour innocentes devant la grammaire. Mais sa prétention, est de ne rien devoir à ce passé avec lequel il veut en finir, et d’être un génie complètement original qui, formé par la nature, s’adresse aussi à ceux qu’une fausse éducation n’a pas gâtés, aux esprits simples et droits, aux gens du peuple. De le mépris qu’il affecte pour les livres, le soin qu'il met à n’en avoir presque pas dans sa maison, et l’ignorance dont il se vante souvent avec non moins d’or- gueil et aussi peu de fondement que de sa science. De là, cette prédilection pour lalangue vulgaire, dont nous trouvons aussi un exemple chez Descartes : car le re- cueil de ses prétendues œuvres latines n’est qu’une imi- tation décolorée l’on ne saurait le reconnaître! En- core, comment le parle-t-il, comment l’écrit-il, cet idiô- me informe de l’Allemagne du xvi° siècle ? Avec une rudesse d’accent, avec une grossièreté d’images que l’on ne trouve plus que rarement chez les paysans des cantons de Schwitz et de Bâle-Campagne, et aussi avec un luxe de néologismes pédantesques dont la tradition s’est beaucoup moins perdue de l’autre côté du Rhin.

Paracelse ne resta qu’un an à l’université de Bâle, sa parole, après avoir excité l’étonnement et attiré une affluence extraordinaire, ne s’adressa plus qu’à un petit

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nombre de croyants, résolus à le suivre jusqu’au bout. Ce rapide déclin s’explique aisément par la nouveauté des idées de Paracelse et la barbarie de son langage, peu propres à former des docteurs selon les règles éta- blies. La passion dégradante dont il fut pris subitement pour le vin, après vingt-cinq ans d’une sobriété toute musulmane, dut aussi y contribuer ; car, s’il faut en croire un témoignage très respectable, celui d’Oporin,le célèbre imprimeur qui fut pendant deux ans son secré- taire, il était souvent à moitié ivre quand il montait dans sa chaire ou qu’il se rendait au lit des malades, et même quand il dictait ses nombreux ouvrages. Enfin, s’étant brouillé avec les magistrats, qui dans un procès contre un de ses clients avaient prononcé contre lui quand il avait évidemment le droit de son côté, il se décida brus- quement à quitter la ville. Mais ce qui a surtout provoqué cette décision, c’est le goût de Paracelse pour les voya- ges, etla conviction, souvent exprimée dans ses écrits, qu’il n’y a pas de meilleure école pour apprendre la vé- rité. « Celui-là, dit-il (i), qui veut amasser de vraies con- naissances, doit fouler à ses pieds tous les livres et se mettre à voyager : car chaque contrée qu’il parcourra

I. Quatrième défense en faneur de la nounclle médecine, tome i, p. 155, édition citée.

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est une page de la nature. Le médecin, particulièrement, recueillera un grand fruit des voyages. Quiconque veut connaître un grand nombre de maladies doit voir beau- coup de pays : Plus loin il ira, plus il gagnera en ex-

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périence et en science. «

En effet, à peine est-il sorti de Bâle, que nous le re- trouvons reprenant sa vie errante, en 1528 à Colmar, en 15 29 à Nuremberg, à Saint-Gall en 1531, à Augsbourg en 1 5 36. Il habite tour à tour, pendant les dix années Suivantes, les villes principales de la Moravie, de la Hongrie, la capitale de l’Autriche, la petite ville de Villach, en Carinthie, ancienne résidence de son père, et finalement Salzbourg. C’est là, dans l’hôpital de Saint- Étienne, qu’en 1341, après avoir légué ses biens aux pauvres, il termina à quarante-huit ans, sa carrière labo- rieuse et agitée. Il laissait, comme je l’ai dit, des disci- ples fanatiques et des adversaires, ou plutôt des enne- mis acharnés. Il laissait une réforme qui continue encore, si l’on veut bien y regarder, et que ses ennemis même ont été obligés de subir dans ce qu’elle a d’essentiel. Il laissait des œuvres dont les titres seuls rempliraient plu- sieurs pages, et qui recueillies d’une manière fort incom- plète, ne forment cependant pas moins de dix volumes in-4°, dans l’édition allemande de Huser. Évidemment,

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celui dont l'intelligence, dans un intervalle aussi court et dans les circonstances qui viennent d’être racontées, a pu produire de tels effets, n’était pas un homme ordinaire.

Malgré cela, quand on s’arrête à la première impres- sion que font naître la vie et les écrits de Paracelse, on ne peut s’empêcher de voir en lui un aventurier et un charlatan. Mais lorsqu’après avoir jeté un coup d'œil sur ses contemporains on revient à lui avec un esprit libre de prévention, on se laisse gagner à une opinion toute différente. Le charlatanisme, la jactance, la plus grossière superstition mêlée à l'audace et à l’incrédulité même, le goût des aventures dans l’ordre des idées comme dans celui des événements : ce sont les traits qui composent en quelque sorte la physionomie générale des philosophes et des savants de la renaissance ; on les trouve également dans Cornélius Agrippa, dans Fran- çois Patrizzi, Jérôme Cardan, Jordano Bruno, Vanini, Campanella, et à plus forte raison chez les alchimistes de profession, les Van Helmont et les Robert Fludd. Comme des écoliers fraîchement émancipés, les esprits de cette époque, à peine affranchis de la rude discipline de la scholastique, usent avec emportement de leur jeune indépendance, et l’agitation de leur pensée se manifeste jusque dans leur vie intérieure. Pour être

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équitable envers Paracelse, il ne faut donc point trop insister sur les vices et les erreurs qui lui sont communs avec son temps ; il faut l’étudier dans les qualités et dans les pensées qui lui appartiennent en propre.

La première idée dont on est frappé en lisant les li- vres de Paracelse, c’est la liberté absolue qu’il réclame pour la science dans la sphère qui lui appartient, et la carrière infinie qu'il ouvre devant elle. Sur ce point, il n’a pas été dépassé par les réformateurs modernes. La science, pour lui, c’est la nature elle-même s’ouvrant aux regards de l’homme, se réfléchissant dans son esprit, tandis que Dieu se réfléchit en elle. Il lui arrive aussi de la définir une révélation de Dieu à la lumière de la na- ture ; de sorte que toute autorité qui intervient entre nous et les choses lui paraît une usurpation, un empié- tement sur l’autorité divine. Mais il distingue, comme notre cartésianisme a fait plus tard, entre l’ordre de la science et celui de la fol, entre la philosophie naturelle et la religion révélée : l’une remonte de la terre vers le ciel, sur les ailes de la raison ; l’autre descend du ciel sur la terre sur les ailes de la grâce. Identiques dans leur essence, elles doivent se réunir dans l’homme sans pourtant se confondre (i).

(i) Astronomia magna ou Philosophie du macrocosme et du mi- crocosme, t. X, édit. cit.

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La science, étant infinie comme la nature, réclame, selon Paracelse, le concours du genre humain, et n’est jamais le partage ni d’un seul homme ni d’un seul peu_ pie. C’est une vérité qu’il appuie sur le témoignage de l’expérience comme sur celui de la raison ; car il a observé que les hommes n’apportent en naissant ni les mômes aptitudes ni les mêmes inclinations pour les tra- vaux de l’intelligence ; mais les uns réussissent dans une branche des connaissances ou des arts, les autres dans une autre; et cela est vrai des nations comme des individus. Aussi Paracelse revient-il à cette occasion sur son thème favori : le seul moyen de s’instruire est de courir le monde ( i ).

De même qu’ils sont divisés dans l’espace, les dons de l’intelligence et de la science sont divisés dans le temps. Ils ne se transmettent pas simplement comme une tradi- tion; ils se développent et se perfectionnent d’une géné- ration à l'autre, 4,e telle sorte que non seulement les mêmes arts, les mêmes sciences paraissent plus accomplis à mesure qu’on s'éloigne de leur origine, mais qu'il s’en forme tous les jours de nouveaux dont nos devanciers n’avaient pas connaissance. La doctrine du progrès,

{i) Liber paragraniim; quatrième défense, tome U, p. IJ5, édi- tion citée.

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si nouvelle à nos yeux, est enseignée par Paracelse dans les termes les plus clairs et avec une ardeur de foi â peine égalée par les philosophes du xviiP siècle. On cite très souvent cette pensée de Pascal qui, transpor- tant dans l’antiquité l’enfance de l'esprit humain et sa vieillesse dans les temps modernes, nous montre toute la suite des hommes comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. A part la beauté inimitable du langage, Pascal n’a pas de devanciers ni de successeurs, quelle différence y a-t-il entre cette idée et celle que Paracelse exprime dans un pas- sage que je vais traduire : « Il faut que tu considères que nous tous tant que nous sommes, plus nous vivons longtemps, plus nous devenons instruits, et plus Dieu met de siècles à nous instruire, plus il donne d’étendue à nos connaissances ; plus nous approchons du juge- ment dernier, plus nous croissons en science, en sages, se, en pénétration, en intelligence : car tous les germes déposés dans notre esprit atteindront à leur maturité ; en sorte que les derniers venus seront les plus avancés en toutes choses, et que les premiers le seront le moins. Alors seulement on comprendra ces paroles de l’Évan- gile ; les premiers seront les derniers (i) ».

(i) Liber de inventione arliunt, t. IX, p. 174, édit. cit.

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Faisant l’application de ce principe à la profession qu’il a choisie, Paracelse ouvre aux douleurs et aux in- firmités humaines un vaste champ d’espérance. « Ne dis pas, s’écrie-t-il (i), qu’une maladie est incurable; dis que tu ne peux pas et que tu ne sais pas la guérir. Alors tu éviteras la malédiction qui s’attache aux faux prophè- tes; alors on cherchera, jusqu’à ce qu’on le trouve, un nouveau secret de l’art. Le Christ a dit ; Interrogez l’Écriture. Pourquoi donc n’interrogerait-on pas la na- ture aussi bien que les livres saints >

Le but immédiat que se propose Paracelse est la ré- forme de la médecine, alors partagée, comme il nous l’apprend (2), entre l’empirisme, la superstition et la routine de l’école. Le premier n’employait que des spé- cifiques, dont il ne'connaissait ni les principes ni la ma- nière d’agir, ni les rapports avec l’organisme. La seconde n’avait recours qu’aux talismans et aux évocations. Enfin la dernière, servilement attachée à Galien et aux Arabes, ne sortait pas du cercle étroit des qualités purement physiques, le chaud, le froid, le sec et l’humide, surles-

(1) Première défense en faveur de la nouvelle médecine, tome II p. 125, édit. cit.

(2) Paramirum de quinque entibus omnium morborum, tome I, page 5, édit, citée.

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quelles se fonde le fameux axiome, bien contesté aujour- d’hui : Les contraires doivent être combattus par les contraires, Contraria conirariis. Paracelse, au moyen de l’analyse chimique et du raisonnement tout ensemble, en- treprend de mettre à nu les vrais principes, les éléments irréductibles de notre organisation et des substances ca- pables de la modifier, soit en bien, soit en mal. Lui, qu’on représente ordinairement comme le type de l'em- pirisme, il flétrit le médecin empirique des épithètes de bourreau et d’assassin (i). Il ne veut pas non plus qu’on s’en tienne à la théorie pure. « Une théorie, dit-il (2), qui n’est pas démontrée par l’expérience, ressemble à un saint qui ne fait pas de miracles. » Mais dans quelle me- sure la théorie doit-elle être associée à l’expérience ? A quelle hauteur de la spéculation faut-il chercher les prin- cipes pour en comprendre les effets et nous en appro- prier l’usage? C’est ici que Paracelse, méconnaissant toute mesure, se perd dans l’immensité, tout en la sil- lonnajit de brillantes lueurs.

On réussirait bien mal, selon lui, à éclairer les mystè- res de l’organisation humaine si on l’isolait des corps qui agissent sur elle et dont l'ensemble compose notre mon-

(1) Le livre paragaranum, t. Il, p. 56, édit. cit.

(2) Ubi supra.

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de sublunaire. Ce monde, avec tout ce qu’il renferme, hommes, animaux, minéraux, plantes, est subordonné au reste de l’univers, et principalement aux sphères les plus proches, au soleil et aux planètes. Qui oserait nier l’ac- tion du soleil sur nous-mêmes et sur tout ce qui nous en- toure? Eh bien! l’on ne peut pas dirq que des astres en- core plus voisins de nous, et les corps célestes en géné- ral, n’exercent pas sur notre terre une influence aussi réelle, quoique moins sensible. Enfin, tous ces corps ne subsistent, ne se meuvent et n’agissent les uns sur les au- tres que par certaines forces intérieures, certains princi- pes actifs et invisibles qui, eux-mêmes, ne sont que les ministres de la puissance et de la raison divines, toujours présentes dans les choses. La médecine ne peut donc pas se détacher de la science universelle de la nature, que Paracelse, pour le but particulier qu’il se propose, di- vise en trois parties et, pour ainsi dire, en trois zones : la philosophie, l’astronomie et l’alchimie. Si l’on y ajoute la pratique de la morale ou la vertu, indispensable, se- lon lui, à qui veut exercer l’art de guérir, on aura ce qu’il appelle les quatre colonnes de la médecine.

On a dit que la philosophie de Paracelse était toute panthéiste : rien de plus inexact. Le panthéisme confond Dieu et la nature. Paracelse les distingue, et confesse

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hautement le dogme de la création. Le panthéisme fait de l’âme une idée du corps, soumise comme lui aux lois invariables de la nature, ou un mode fugitif d’une pensée universelle qui n’appartient à aucun être pensant. Para- celse voit dans l’âme humaine un être libre qui domine la nature, tout en l’imitant, bien plus grand, dit-il, que les astres, et que Dieu, après l’avoir créé, conduit et éclaire, non en se substituant à lui, mais en lui laissant la tâche de féconder par le travail des germes divins con- fiés à son intelligence. Mais il est vrai que, dans la na- ture distinguée de son auteur, Paracelse maintient l’u- nité de substance, empruntée à la kabbale et aux écoles d’Alexandrie. Il admet, sous le nom de grand arcane ou de grand mystère [mysierium magnum), une matière pre- mière, invisible, active, d’où sont sortis avec ordre, à la voix de Dieu, tous les corps simples et composés, les éléments", les astres, les minéraux, les plantes, les ani- maux, et enfin le corps humain, la plus savante composi- tion de l’être suprême, le résumé et l’image de l’uni- vers ; car il est formé avec tous les éléments et avec toutes les forces de la création (i). Il est vrai aussi qu’au- dessous de l’âme humaine, à une distance infranchissa-

(i) Astronomia magna ou philosophie du macrocosme et du mi- crocosme, t. X de l’éd. cit.

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ble, il reconnaît, sous le nom d’esprit, un principe actif d’organisation, de conservation et de vie pour chaque corps, et même pour chaque organe du corps humain : esprit animal, vital, séminal, archée, dans les animaux ; esprit végétal dans les plantes; esprit du sel, du soufre et du mercure dans les minéraux, ou principe de la con- crétion, de la combustion et de la fusibilité dans la ma- tière brute, dans ces éléments mêmes qui -passaient, de- puis Empédocle, pour des corps indécomposables. Tous ces esprits, ou arcanes particuliers, comme Paracelse les appelle quelquefois, ne sont que les divers états ou transformations de plus en plus obscures du grand arca- ne (i).

Ce que Paracelse appelle l’alchimie n’est que le dé- veloppement et l’application nécessaire de sa philosophie. L’alchimie, pour lui, n’est plus l’art de faire de l’or, mais d’approprier à notre usage, par une suite d’opérations imitées de la nature, tout ce qui peut nous être utile : car, « la nature, dit-il (2), est le premier et le plus grand de tous les alchimistes : la transformation des corps n’est

(i) Ubi supra.; Philosophia ai Atlilniinses, tome VIII, p. i et suiv., édition citée.

(2) Le livre Paragranum, chap. III, dans le tome II de la même édit.

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pas autre chose que la vie (i). « Tout homme devient un alchimiste, qui prend la nature pour modèle, qui, ' s’emparant des principes qu’elle met en œuvre et les employant de la même manière, les fait servir à nos fins.

On aperçoit sur-le-champ les rapports qui existent entre ce système et la réforme médicale de Paracelse. Les principes les plus actifs des corps, dégagés par l’ana- lyse et substitués aux corps eux-mêmes dans le traite- ment des maladies ; les combinaisons chimiques mises à la place des mélanges repoussants employés jusqu’alors ; la force organique et vitale de la nature invoquée de préférence à la force mécanique des instruments, ou à l’intervention redoutée du fer et du feu ; enfin l’obser- vation, l’examen des principes, au lieu d’une routine aveugle ; tels sont les principaux traits de cette réforme qui a, en quelque façon, spiritualisé l’art de guérir, et qui, ramenée de ses excès, inévitables conséquences d’une révolution, poursuit son chemin encore aujour- d’hui.

Que Paracelse ait été moins heureux en appelant l’as- tronomie au secours de la médecine, on le conçoit sans (i) Philosophia ad Athénicnses, quatrième texte, tome VIII, édition citée.

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peine; car s’il est vrai, en thèse générale, que toutes les parties de l’univers soient liées entre elles et agissent les unes sur les autres, il est cependant impossible de définir ces rapports et d’en faire aucun usage, s'ils ne tombent pas sous l’observation ou sous les lois du cal- cul. Aussi lui arrive-t-il plus d’une fois de confondre l’astronomie avec l’astrologie, et de retomber dans ces pratiques superstitieuses qu’il a voulu détruire par l’ob- servation de la nature. Ce' qu’il dit_ de la ressemblance des astres avec les germes des êtres vivants, de celle de notre sphère planétaire avec la structure du corps humain et des signatures, propres à nous découvrir, par la con- formation extérieure des choses, leurs propriétés et leurs principes les plus secrets; toute cette partie de son sys- tème, quoique pleine d’imagination, souvent de vues ori- ginales, est d’un homme qui rêve ou qui parle dans l’ivresse, non d’un esprit qui médite et qui pense. C’est sans doute aussi dans un de ces moments fréquents de divorce avec la raison qu’il a dicté à un de ses secrétai- res son petit Traité des nymphes, des sylphes, des gno- mes et des salamandres (i), et qu’il a écrit de sa propre main quelques pages, expression du plus haut degré de (i) De Nymphis, sylphis, pygmceis et salamandris, t. IX, pag. 45 de rédit. cit.

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délire, pour prouver que certains êtres semblables à nous et connus dans la langue de l’alchimie sous le nom d’/zO' moncules, peuvent naître en dehors des voies de la nature (i).

Malgré ces écarts, Paracelse n’en est pas moins un des génies les plus vigoureux et les plus originaux d’une époque féconde en grandes intelligences. Il a ressuscité par la philosophie et régénéré par le spiritualisme les sciences naturelles, particulièrement celle du corps hu- main, abandonnée depuis des siècles au hasard et à la routine; il leur a ouvert une carrière infinie de conquêtes et d’espérances que l’imagination n’avait osé chercher qu’en dehors de la nature ; il est peut-être le premier qui ait énoncé clairement, et avec une conviction réfléchie, ce principe de la perfectibilité humaine que confirment chaque jour, dans le domaine des sciences et de l'indus- trie, de nouveaux triomphes de l’esprit sur la matière, et que, malgré toutes les apologies du passé, la société moderne garde dans sa conscience comme une religion. Sans doute, ce n’est pas un Galilée, un Bacon, ni un Descartes; mais il leur a ouvert la voie en rappelant la raison humaine au sentiment de sa force et de sa liberté.

Quant à l’alchimie, son histoire nous présente un en- (i) De homunculis et monstris, ubi supra, p. 311.

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seignement plein d'intérêt ; elle nous montre comment le désir et l'imagination nous frayent peu à peu une route vers la science. D’abord on souhaite ardemment la santé et la fortune. Quoi de plus spontané et de plus naturel ? Bientôt, en réalisant ce vœu par la pensée, on rêve la transmutation des métaux et l’élixir de longue vie. La cu- riosité et l’action s’en mêlent; on veut s'assurer s’il n’y auraitrien defondé dans ce rêve; on interroge la nature, on la fouille au hasard, on la tourmente en tous sens, et l’on trouve ce qu’on ne cherchait pas, ou bien plus qu’on ne cherchait, tout un ordre de connaissances nouvelles d’où nous saurons tirer d’inépuisables trésors. Quel mo- tif d’indulgence envers le passé et d’espérance pour l’ave- nir I

Franck, de l’Institut.

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L’OR ARTIFICIEL

TRANSMUTATION DES MÉTAUX

INTRODUCTION '

II n’appartient point à un simple ouvrier de la science tel que moi, de prétendre faire dans cette introduction de la science pure ; exposer quelques faits nouveaux, les rapprocher d’autres faits antérieurement connus, mettre en évidence la liaison qui les unit pour constituer la branche toute nouvelle de la science qui prendra rang désormais sous le nom de Transmutation des métaux; c’est à quoi je dois me borner. Les faits, du moins les faits satisfaisants et en nombre suffisamment respectable, manquent et probablement manqueront longtemps en- core.

Les faits naturellement nous arrivent bien moins vite que les idées nouvelles, quant aux hypothèses plus ou

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l’or

moins plausibles sur les métamorphoses des corps mé- talliques les uns dans les autres. C’est que les faits ne peuvent se conquérir que par un labeur très-long, tres- pénible, très-dispendieux ; le temps manque toujours, et le temps, c’est l’existence, c’est la vie, c’est tout. Pour moi, si j’espère arriver promptement à faire ac- cepter au monde ma découverte, qui doit être, après tout, l’une des gloires de notre siècle auquel elle don- nera le moyen de composer et décomposer les corps à volonté, c’est par la persévérance, c’est par le concours et l’appui des hommes éclairés, des hommes d’avenir.

Remarquons d’abord combien, par cette découverte, les trois règnes, qui ne devraient en réalité en faire qu’un, sont rapprochés et rattachés l’un à l’autre. La dénomination d'êires inorganiques me semble éminem- ment impropre ; ces êtres ont, eux aussi, leurs organes ; ils n’aspirent qu’à se perfectionner, à vivre de le'ur ma- nière, en passant d’âge en âge par diverses stations plus ou moins prolongées. La durée de ces stations dépend des circonstances plus ou moins favorables au dévelop- pement de ce que je nommerai les individualités miné^ raies, jusqu’à ce que celles-ci arrivent à leur dernier de" gré de perfection, pour renaître sous une autre forme, après avoir dépassé cette limite, et venir alors en aide.

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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elles aussi, à la perfectibilité de ces premières individua- lités.

L’azote, ce corps indispensable à l'accroissement des êtres des deux règnes animal et végétal, doit aussi jouer un rôle important dans celui des êtres du règne minéral. Et qui nous dit que l’azote n’est pas également indispen- sable à la perfectibilité de tout cet ordre d'êtres? Ne peut-il pas agir sur eux par sa seule présence? Ces points seront sans doute ultérieurement éclaircis par l’expérience. Tout cet ensemble indique les rapports intimes entre tous les différents corps ; il rend sensible la force incon- nue qui régit tous les êtres ; il mène invinciblement à ce qui sera le dogme incontesté de la science dans l’avenir : Vunilé de la matière. Ce dogme dès à présent admis tacitement par les savants de bonne foi, est en effet le seul conforme à l’unité de Dieu ; chaque nouveau pas en avant de la science nous révèle de nouveaux aspects de la toute puissance par laquelle tout' subsiste dans l’uni- vers.

Je ne pense pas qu’il soit possible de sitôt de parvenir à démontrer séance tenante que les métaux sont des corps composés, et d’en donner immédiatement la démonstra- tion par l’analyse et la synthèse ; il faudra longtemps s’en tenir à des expériences de longue haleine, exécutées en

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présence de forces peu développées, mais d’une action longuement prolongée ; il faudra même faire intervenir les masses pour arriver à la preuve de fait de la compo- sition des métaux. Mais une fois qu'on tiendra la clé du système de combinaison des forces, la durée des expé- riences pourra être singulièrement abrégée ; car rien n’em- pêchera d’en modifier les formes à l'infini. J usque-là, allons doucement, ne demandons pas trop à la fois à nos expé- riences, c’est l’unique moyen d’approcher du but et de l’atteindre sans frais ruineux ; on risque au contraire d’en perdre tout le fruit en voulant aller trop vite ; j’en puis parler avec connaissance de cause, car c’est ce qui m'est arrivé à moi-même. *

Mon intention'est de consacrer quelques séances pu- bliques à l’exposé de mes travaux sur la transmutation des métaux; j’y soumettrai âmes auditeurs l’or artificiel que j’ai obtenu, j’y développerai les faits relatifs à ma découverte avec tous les détails, de nature à jeter du jour sur le phénomène de la transmutation en or pur de l’ar- gent allié.

J’aurais usé depuis longtemps de ce moyen de publi- cité et de propagation, si j’avais obéi seulement à mon vif désir d’augmenter le nombre des hommes pénétrés comme moi des vérités de la transmutation des métaux.

LA. TRANSMUTATION DES MÉTAUX

Mais le moment ne me semblait pas arrivé ; aucun écho n’aurait répondu à ma voix. Aujourd’hui, des savants connus et honorés du public ont eu la hardiesse (car c’en est une très grande) d’affirmer la possibilité de la trans- mutation des métaux, d’où découle forcément celle de la composition, et l’aveu implicite de l’unité de la matière ; je n’ai jamais prétendu autre chose. Je crois donc avoir en ce moment ce qui m’avait manqué à mon début, des chances pour réunir un auditoire et pour m’en faire écouter. Que, par ce mode de publicité, je fasse faire seulement quelques pas en avant à la science de la trans- mutation des métaux, et ma peine sera largement ré- compensée.

Quant à mes motifs pour livrer à la curiosité publique la série de mes précédents mémoires sur cette matière, le plus puissant de ces motifs réside dans les demandes qui me sont journellement adressées par écrit, par ceux qui désirent avoir cette série complète; je pense être à la fois utile et agréable à cette portion du monde savant qui veut bien y prendre intérêt, en réunissant mes Mé- moires dans l’ordre selon lequel ils ont été présentés à l’Académie. D’ailleurs, les, expériences que je continue sans interruption exigent, pour la plupart beaucoup de temps. Les résultats de mes nouveaux travaux, à me-

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sure que je les réaliserai, seront successivement commu- niqués à l’Académie ; ils formeront une seconde série de mémoires.

J’ai lieu de conserver l’espoir fondé que la commis- sion, composée de MM. Thénard, Dumas et Chevreul, chargée d’examiner mes opérations, ne tardera pas à faire son rapport, et qu’elle me viendra puissamment ea aide pour la continuation de mes expériences.

On me dit: si cette découverte de la transmutation des métaux pouvait être vraie, ce serait un grand mal- heur public. Je ne puis laisser passer cette objection ; je dois y répondre dans l’intérêt même de ma découverte.

D’abord, je comprends à peine comment des rai- sonnements de cette nature osent se produire en plein XIX® siècle. Si la production artificielle des métaux pré- cieux peut amener quelques perturbations dans les tran- sactions, cet inconvénient sera compensé par d’incalcula- bles avantages.

Les modifications qui peuvent en découler seront gra- duelles, comme le sont sous nos yeux celles qui résul- tent des milliards déjà versés dans la circulation par les placers de la Californie et de l’Australie; la produc- tion de l’or, dans ce dernier pays, est officiellement éva- luée pour 1854, à 8 millions par semaine, soit 416 mil-

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lions par an ! Quels troubles, quels désastres publics peut- on signaler comme produits par cette surabondance de l’un des signes représentatifs de la richesse? Il en sera de même des conséquences de la transmutation, le jour inévitable, prochain peut-être, elle pourra s’effectuer par des procédés économiques et rentrer dans les con- ditions ordinaires de la chimie industrielle. On peut, au surplus, s’en rapporter avec toute sécurité aux mesures à prendre, le cas échéant, par un gouvernement éclairé pour sauvegarder tous les intérêts.

Que n’a-t-on pas objecté dans l’origine aux applica- tions de la vapeur ? Nous en voyons pourtant de jour en jour grandir les immenses avantages; nous la voyons vi- vifier de plus en plus toutes les branches de l’industrie et du commerce, porter sur tous les points du globe l’activité, le bien-être, la vie ; et la vapeur n'a pas dit son dernier mot ; et, d’une heure à l’autre, elle peut être passée, débordée, remplacée. J’en dis autant de l'électri- cité. Pourquoi ceux qui redoutent la production artificiel- le des métaux, ne s’épouvantent-ils pas de l’électricité, de cette force magique qui transmet l’échange de la pen- sée avec une rapidité cent fois supérieure à celle des vents ? et les applications de l’électricité n’en sont qu’à leur début ;elles doivent enfanter bien d’autres prodiges !

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La transmutation des métaux aura donc son tour, sans plus de difficultés, sans résultats plus réellement dange- reux. On peut défier l’esprit le plus profond, l’intelli- gence la plus vive et la plus pénétrante, de prévoir tout ce que cette découverte peut produire. Dans l’industrie, elle apportera d’importantes améliorations, les métaux facilement oxydables pouvant être remplacés par ceux qui s’oxydent difficilement ; on comprend ce qu'y gagne- raient nos ustensiles de ménage en salubrité comme en propreté. Les sciences, la médecine, la physique, la chi- mie, sont appelées toutes également, chacune dans ses attributions, à répandre sur l’humanité, comme conséquen- ces de la transmutation des métaux, des bienfaits sans nombre conquis par le seul effort de l’esprit humain lut- tant victorieusement contre les forces brutes de la nature.

Notons soigneusement un fait capital qui doit se pro- duire avant même que tout cet avenir puisse être réalisé. La propriété foncière va prendre une valeur réelle, plus solide et plus stable que précédemment; quand les mé- taux précieux seront* démonétisés, cet accroissement de valeur de la propriété foncière se produira de lui-même.

Pourquoi les gouvernements, une fois que la produc- tion illimitée de l’or et de l’argent aura commencé à en- trer dans le domaine des frais accomplis, n’accorderaient-

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ils pas une prime à la propriété foncière, comme ils en accordent une aux métaux précieux ? Ce serait à bien plus juste titre ; car, la propriété foncière, base fonda- mentale du commerce et de l'industrie, de la tranquillité, du bien-être général et de la prospérité publique, a bien plus de droit que l’or et l’argent dont elle devrait tenir la place, à représenter à elle seule toutes les valeurs. Qu’est-ce, après tout, pour l’homme affamé, par exem- ple, qu’un lingot d’or et d’argent, s’il ne peut l’échanger contre ce qui se mange ? En temps de famine, le posses- seur du blé est assurément plus riche que le détenteur de l’or ; le premier se passe du second, qui ne peut, lui, se passer du premier. La valeur des métaux précieux n’est que du second ordre ; elle est, sous certains rap- ports, purement factice et imaginaire. Du Jour ils ces- seront d’être reconnus comme ayant une valeur constante et légale, cette valeur s’évanouira; l’or et l’argent n’au- ront plus qu’une valeur sujette à la hausse et à la baisse selon les mêmes circonstances qui affectent toutes les valeurs industrielles. La propriété foncière la moins su- jette de toutes à ces variations, est pour cela même la plus apte à représenter toutes les valeurs.

L’agriculture profitera largement de la transmutation des métaux ; elle occupera les bras rendus disponibles

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par la rédudion du nombre de ceux employés aux mines ; elle attirera à elle par l’attrait des salaires plus élevés .qu’elle pourra payer en raison de la plus grande stabi- lité de la propriété foncière, les bras intelligents qui dé- sertent aujourd’hui les campagnes pour venir dans les villes encombrer les avenues de toutes les carrières in- dustrielles ; l’espace me manque pour compléter cet aperçu du bien social découlant des applications de la transmutation des métaux.

J’ai maintenant quelques mots à adresser aux jeunes gens qui voudraient se livrer à des expériences dans cette voie. Le problème, qu’ils le sachent bien, est des plus ardus ; la solution peut être lente et laborieuse. Bien que 4>lusieurs fois j’aie réussi à résoudre une partie du pro- blème par la transmutation en or pur de l’argent allié, j’éprouve encore des difficultés graves pour répéter cette expérience. Je ne puis donc trop engager ceux qui se mettront à l’œuvre, à procéder avec prudence, à ne pas hasarder à la fois tous leurs moyens d’action, s'ils neveu- lent s’exposer à des tourments sans nombre, aux décep- tions les plus amères, à la perte de leur liberté, de leur repos. Ce n’est pas, direz-vous, le moyen d’aller vite : rien n’est plus vrai. Mais aussi, la voie que j’indique est la moins scabreuse, la moins périlleuse de toutes; c’est la

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seule que doive suivre l’homme guidé par une sage pré- voyance. Ne consacrez donc à vos expériences que ce que vos moyens vous permettent de risquer; vous pour- rez ainsi les continuer plus longtemps et vous donner, par cela seul, plus de chances pour arriver au but, sans excès de dépenses. Si vous sacrifiez, au contraire, tout votre avoir par trop d’impatience, si, dans votre précipitation, vous multipliez inconsidérément les expériences coup sur coup, qu’arrivera-t-il ?-Vous aurez risqué de tout perdre sans arriver à rien ; le désespoir vous prendra, et qui sait il peut vous conduire ? Conservez donc précieusement tout votre courage, et gardez-vous de vous laisser entraî- ner par quelque succès partiel. Que n’ai-je pas eu moi- même de luttes à soutenir contre l’enthousiasme de mes premiers résultats? J’aurais été capable, si je n’a- vais réussi à me dominer, de tout sacrifier à ma décou- verte. Mais j’avais présents à la pensée les exemples que tant d’inventeurs ont laissés ; leur triste histoire servit de frein à mon ardeur. C’est ainsi que j’ai pu persévérer dans mes travaux et poursuivre les conséquences de ma découverte. Les moments que j’y consacre sont, je dois l’affirmer, les plus doux de mon existence, et mon uni- que regret est de ne pouvoir donner une plus forte par de mon temps à ces chères études.

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La solution complète du problème est une oeuvre no- ble et grande ; elle promet tout à celui qui l’accomplira : honneur, gloire, fortune, la réalisation des espérances les plus illimitées, des plus immenses désirs. Mais, entre vous et ce résultat, attendez-vous à rencontrer des diffi- cultés non moins grandes, proportionnées à la grandeur du résultat lui-même-: solution pour laquelle le mot su- blime ne me semble pas exagéré, quand on en considère les incommensurables conséquences.

Que cette solution soit possible, n’en doutez pas ; les faits conquis par mes recherches en sont la preuve irré- cusable.

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Si mon propre témoignage ne semble pas suffisamment

exempt de préventions, qu’il me soit permis d’en alléguer

d’autres dont le poids en pareille matière ne peut êtrg

contesté. Voici dans quels termes M. Victor Meunier, \

l’éminent publiciste, rend compte de mes travaux, dans la Presse du 24 juin 1854.

« Le piédécesseur immédiat de M. Tiffereau dans la poursuite du grand œuvre, est (sauf erreur ou omission) l’auteur d’une brochure qui parut en 1832 sous le titre : V Hermès dévoilé. Malgré les promesses du titre, l’auteur se comporte en adepte ambitieux démériter les éloges adressés par Paracelse à ceux qui, ayant reçu communi-

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cation des grands secrets de Dieu (Magnalia Del), ont la prudence de les tenir cachés jusqu’à la venue d’Élie, l’artiste.

« M. Tiffereau, il faut d’abord lui rendre cette justi- ce, est plus élémentaire que son prédécesseur. On voit tout de suite que ce n’est pas dans les Œuvres d'Hermès^ dans le Pimandre, dans la Table des sept chapitres, dans la Table d' Émeraude, qu’il a cherché la clé mystérieuse de l’or. Il ne sera pas nécessaire qu’on fasse pour lui ce que Aulendus a fait pour Paracelse, un dictionnnaire des termes dont il s’est servi.

« Ancien élève et préparateur de chimie à l’école pro- fessionnelle de Nantes, s’il se rencontre avec les phi- losophes hermétiques, c’est parce qu’après avoir déversé sur elle tant de mépris, la chimie tend de nos jours à faire sa jonction avec Valchimie. Ici, comme en tant d’autres circonstances, il paraît bien, en effet, que la science adulte finira par venger la pensée philosophique des outrages qu’une science à ses débuts lui a prodi- gués.

« La chimie n’est plus, sans doute, comme au temps de Suidas, l’art de composer l’or et l’argent ; mais elle s’intitule elle-même science des transformations de la matière. Elle admet comme principe fondamental, que

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les propriétés des corps sont liées à leur arrangement moléculaire. Elle dit avec Laurent ; La forme, le nom- bre et l’ordre, sont plus essentiels que la matière (i). »

Sur la tombe encore ouverte de l’immortel créateur de la théorie de l’unité de composition organique, un chimiste disait ; « Elle (cette théorie pénètre mainte- nant dans les sciences chimiques et y prépare peut-être une révoluition dans les idées (2). » Et quelle nom- breuse série de fait empruntés à la chimie minérale, à la chimie organique, à la cristallographie, nous pourrions invoquer à l’appui de cette pensée ? De au principe même de la chimie, au principe de l’homogénéité radi- cale des métaux, ou, comme on dirait aujourd’hui de leur Isomérie, la distance encore infranchie ne paraît pas in- franchissable. n

Dans ses leçons de philosophie chimique professées au collège de France, M. Dumas s’exprimait ainsi à propos de V Isomérie, principe dont la découverte lui est due ; « Serait-il permis, disait-il, d’admettre des corps simples isomères (3) ? » Cette question, vous le voyez,

1. Théorie des radicaux dérivés, page 5; Extrait delà Re- vue Scientifique et Industrielle.

2. Paroles de M. Dumas.

■J. M. Dumas nommait ccr/s isomères, ceux qui ayant la même

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touche de près à la transmutation des métaux. Résolue affirmativement, elle donne des chances de succès à la pierre philosophale. « Il faut donc, disait encore M. Du- mas,-consulter l’expérience, et l'expérience, il faut le dire, n’est point en opposition jusqu’ici avec la possibi- lité de la transmutation des corps simples, au moins, de certains corps simples. »

M. Louis Figuier, dans son livre sur l'alchimie et les alchimistes, sans trancher la question de la transmutation des métaux, ne se prononce pas contre et laisse visible- ment apercevoir la possibilité de ce phénomène. Voici ce qu'il dit à ce sujet : « Par un revirement étrange, et bien de nature à nous inspirer de la réserve dans l'appré- ciation des vues scientifiques du passé, la chimie de nos jours, après avoir, pendant cinquante ans, considéré comme inattaquable le principe de la simplicité des mé- taux, incline aujourd'hui à l'abandonner. L’existence, dans les sels ammoniacaux, d’un métal composé d’hydrogène et d'azote, qui porte le nom d'ammonium, est aujour- d’hui admise d'une manière unanime. On a réussi depuis quelques années à produire toute une série de composés renfermant un véritable métal, et ce métal est constitué

composition, ont des propriétés chimiques différentes. Ce mo^ reçoit souvent une autre signification.

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par la réunion de 3 ou 4 corps différents. Le nombre des combinaisons de ce genre s’accroît chaque jour, et tend de plus en plus à jeter du doute sur la simplicité des ■métaux. » Concluons de cet examen que les faits em- pruntés à l’expérience offraient des caractères suffisants de probabilité pour donner le change à l’esprit des obseri vateurs,et autoriserainsi leur croyance au grand phé- nomène dont ils poursuivaient la réalisation.

PREMIER MÉMOIRE

Présenté à l'Académie des Sciences dans la séance du 27 juin 1853.

Les métaux sont des corps composés.

A toutes les merveilleuses créations industrielles qui signaleront le xix° siècle. à la postérité, je viens, hum- ble et obscur ouvrier, apporter ma pierre pour l’édifice commun, La vapeur, l’électricité ont déjà changé la face du monde (et qui peut dire s'arrêtera leur puissance ?) ; mais il est d’autres mobiles de la richesse publique, et j’en viens signaler un dont la découverte changera bien des conditions de travail et effraiera par sa portée les es- prits les plus hardis. Il ne faut pas moins, pour me déci- der à confier au public la découverte que j’ai faite, que la conscience de son importance et l’honneur qui jaillira sur mon pays d’avoir été le berceau d’une pareille inven- tion.

iT ai découvert le moyen de faire de l'or artificiel, j’ai fait de l'or.

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A cette annonce, j’entends déjà les clameurs des in- crédules et les sarcasmes des savants ; mais aux uns et aux autres, je répondrai: Écoutez et voyez.

Élève et préparateur de chimie à l’École profession- nelle supérieure de Nantes en 1840, je m’adonnai sur- ;

tout à Tétude des métaux, et, convaincu que cette partie des sciences chimiques offrait un champ immense à mois- sonner pour un homme d’observation, je résolus d’en- treprendre un voyage d'exploration au Mexique, cette terre classique des métaux. En décembre 1842, je par- tis : et cachant mes travaux secrets sous l’abri d’un art encore nouveau, le daguerréotype, je pus parcourir en tous sens ces immenses contrées, ces placers, cette pro- vince de Soiiora, ces Californies qui, depuis, ont tant fixé les regards du monde. C’est en étudiant les gise- ments des métaux, leurs gangues, leurs divers états phy- siques, c’est en interrogeant les mineurs et comparant leurs impressions, que j’acquis la certitude que les mé- taux subissaient dans leur formation certaines lois, cer- \

' tains stages inconnus, mais dont les résultats frappent l’es- prit de quiconque les étudie avec soin. Une fois placé à ce point de vue, mes recherches devinrent plus ardentes, plus fructueuses ; peu à peu la lumière se fit, et je com- pris l’ordre dans lequel je devais commencer mes tra-

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vaux. Après cinq ans de recherches et de labeurs, et réussis enfin à produire quelques grammes d'or parfaite- ment pur.

Il m’est impossible de peindre l'immense joie que je ressentis en touchant ce but si désiré. Dès lors je n eus qu'une pensée fixe, rentrer en France et faire profiter mon pays de ma découverte. Quitter le Mexique était fort difficile alors, car les Américains venaient de s'em- parer de 'Vera-Cruz, de Mexico et de Tampico, et il ne fallut pas moins de six mois pour venir de Guadalajara à Tampico, je me suis embarqué pour la France en mai 1848.

A mon arrivée, je constatai de nouveau les propriétés de l’or que j’avais artificiellement obtenu : cristallisation, aspect, densité, malléabilité parfaite, ductilité, insolubi- lité absolue dans les acides simples, solubilité dans l’eau régale et les sulfures alcalins: rien n’y manque. La quan- tité que je possède aujourd’hui ne peut me laisser aucun doute sur le fait de la découverte et sur le peu de frais au moyen desquels j’ai pu la préparer.

Maintenant, pour faire disparaître le merveilleux dont cette découverte ne manquera pas d’être entourée aux yeux de bien des gens, il faut que je dise quelles sont les vues qui m’ont guidé dans mon travail, et comment ma

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réussite a été l'œuvre de déductions logiques déjà acqui- ses à la science.

Les métaux ne sont pas des corps simples, mais bien des corps composés.

Les alchimistes et les philosophes hermétiques du moyen-âge n’avaient aucune théorie fixe dans leurs re- cherches sur la nature des métaux ; guidés par une pen- sée mystique et voyant dans tous les corps de la nature un mélange de matière et d’émanation divine, ils pensaient pouvoir arracher à la nature le secret de ce mélange, et, dégageant la matière brute de son essence, la ramener à un type unique, pour les métaux, du moins. De l'idée de ce qu’ils appelaient le grand œuvre, la pierre philoso- phale, la transmutation des métaux.

Divisés en plusieurs sectes, les illuminés se flattaient vainement de découvrir une panacée propre à prolonger la vie des hommes au-delà du terme ordinaire, tandis que d’autres, les plus positifs, se bornaient à chercher la transformation des métaux vils ou imparfaits en métaux précieux et parfaits, c’est-à-dire en argent, en or.

Les travaux de ces hommes sont restés stériles, sauf les quelques remèdes héro'iques dont ils ont doté l’art de

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guérir, remèdes puisés dans les préparations antimonia- les et mercurielles principalement ; au commencement de ce siècle, il était de bon goût de jeter le sarcasme à plei- nes mains sur ces fous d’une autre époque, et c’est à peine si aujourd’hui quelques savants rendent justice à l’idée, à la pensée mère qui a guidé les alchimistes.

Posons d’abord un principe fécond admis aujourd’hui par tous les chimistes : Les propriétés des corps sont le résultat de leur constitution moléculaire.

La nature nous présente un grand nombre de corps polymorphes qui, suivant qu’ils cristallisent dans un sys- tème ou dans un autre, acquièrent des propriétés très différentes, sans que, cependant, leur composition soit altérée ou changée en aucune façon. Ainsi le carbonate de chaux rhomboédrique ou spath calcaire, et le carbo- nate de chaux prismatique ou arragonite ont exactement la même composition, et cependant possèdent des pro- priétés très différentes. La science est parvenue à pro- duire ces deux sels à volonté sous ces deux formes. L’un d’eux possède la double réfraction, l’autre ne la possède pas; l’un est plus dense que l’autre, l’un enfin cristal- lise à la température ordinaire, l’autre seulement à la température de plus de loo degrés.

Tout le monde sait que le soufre possède des proprié-

tés différentes suivant la température à laquelle on l’a exposé et la forme cristalline qu'on lui a fait prendre. Une foule d’oxydes métalliques, tels que certains oxy- des de fer et de chrome, se substituant à d’autres bases dans les sels, leur donnent des propriétés diverses sous des formes typiques. Les oxydes de zinc, de mercure, plusieurs combinaisons de ées métaux, changent de pro- priété sous l’empire d’un changement de constitution moléculaire produit par la chaleur ou des forces électri- ques. Le platine spongieux, l’argile chauffés à blanc, déterminent, par leur simple immersion dans un mélange d’oxygène et d’hydrogène, la combinaison de ces deux gaz, dont le résultat est de l’eau.

Dans la nature organique, ne voyons-nous pas des phénomènes analogues se produire chaque jour.^ L’ami- don ne se transforme-t-il pas en sucre par son seul con- tact avec l’acide sulfurique, sans que, cependant celui-ci soit altéré .î" N’est-ce pas à la présence d’une matière azotée qu’est le phénomène de la fermentation qui fait subir aux matières organiques de si curieuses trans- formations } Enfin, le cyanogène, ce radical composé, n’est-il pas le produit de l’action d’une base alcaline sur une matière azotée? Je pourrais citer mille autres faits à l’appui du principe énoncé, si je ne craignais de paraître

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vouloir faire étalage de science. Je répéterai donc sim- plement qu’il n’y a rien que de très juste dans cette pen- sée que : la constitution d'un corps étant changée, ce corps acquiert des propriétés nouvelles, tout en conser- vant sa nature intime, sa composition, si l’on veut.

En conséquence, il suffira de découvrir le corps qui, par sa force catalytique, peut agir sur le corps qu'on veut transformer, puis de mettre ce dernier en certaines con- ditions de contact avec lui, pour opérer cette transforma- tion, 'Voilà le principe qui n'est nié par aucun chimiste aujourd’hui, celui que j’ai mis en application, et auquel je dois mon succès.

Dans un ordre d'idées analogues, répéterai-je ici tout ce qui a été dit et écrit par les modernes sur la probabilité de la composition des métaux ? Si l’on part de la théorie de Stahl, qui considérait les métaux comme formés d’un radical et d’un principe appelé phlogistique pour arriver à Lavoisier qui, par sa théorie de la com- bustion, a si longtemps fait faire fausse route aux obser- vateurs ; si enfin on considère que tous les corps de la nature, végétaux et animaux, en nombre incalculable, sont formés pourtant de trois ou quatre éléments, mal- gré leur immense diversité, et si l’on réfléchit que ce n’est jamais qu’avec un très petit nombre de substances simples

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que la nature produit tous les composés, n’est-il pas na- turel de penser que les quarante et quelques métaux, considérés aujourd’hui comme des corps simples, ne sont que des mélanges, des combinaisons, peut-être, d’un radical unique avec un autre corps inconnu, mal étudié, sans doute, dont l’action nous échappe, mais qui seul modifie les propriétés de ce radical, et nous montre qua- rante métaux il n'y en a qu’un r Comment admettre que la nature ait créé cette quantité de m.étaux divers pour former le règne inorganique, quand, avec quatre élé- ments au plus, elle a créé une si prodigieuse quantité de végétaux, et d’animaux ? Et, si un homme vient à démon- trer ce corps inconnu qui a échappé à tant de recher- ches, et à le faire agir sur un métal donné, qu’y a-t-il de surprenant à ce que cet homme change la nature de ce métal en fui donnant, avec une constitution moléculaire différente,, les propriétés de tel autre métal dans lequel existe naturellement cette constitution ?

En voilà assez sur ce sujet pour tout homme quelque peu versé dans l’étude des sciences physiques, et pour le bon sens de tous. J’arrive maintenant à préciser la posi- tion. J 'ai pu produire de l’or et arriver à la transformation complète d’une quantité donnée d’un métal en or pur. J’ai dit déjà que cette quantité donnée était de quelques

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grammes, et jusqu’à présent je ne suis pas encore parve- nu à opérer sur une masse assez considérable pour pou- voir dire que j’ai réussi en grand. Pour y parvenir, il me faut d’autres ressources, je les demande à ceux qui voudront se mettre en rapport avec moi. Je ne veux pas, à moins d’y être contraint, avoir le sort de tant d’inventeurs dédaignés dans leur patrie, porter à l’é- tranger le fruit de ma découverte, et en faire profiter nos rivaux en industrie. Je fais appel à mes compatriotes, et j’attends de la publicité l’aide dont j’ai besoin pour par- faire mon œuvre.

En terminant, je crois inutile et imprudent, peut-être de faire des réflexions sur l’immense portée de la pro- duction de l’or artificiel; la France possède le plus fort numéraire de l’Europe, environ trois milliards de francs ; la dépréciation prochaine de l’or, par l’abon- dance de ce métal provenant de la Californie et de l’Australie, sont deux faits assez faciles à rapprocher pour que les conséquences en découlent d’elles-mêmes.

Je me tais donc et j’attends.

DEUXIÈME MÉMOIRE

Lu à l'Académie des Sciences dans la Séance du 17 octo- bre 1855.

Par T. Tiffereau.

Les métaux sont des corps composés.

Afin de faire disparaître les doutes qui peuvent rester dans les esprits au sujet de la découverte que j’ai faite, de l’or artificiel, je vais entrer dans quelques détails de mes expériences, et prouver que, dans les circonstances j’ai opéré, je n’ai pu prendre des illusions pour des réalités.

Messieurs, le métal que j’ai choisi pour base de mes expériences est l’argent, métal parfaitement distinct des autres par ses propriétés chimiques, qui sont tout à fait caractéristiques, comme on sait, et qui, par conséquent, ne permettent pas de le confondre avec aucun autre ; par cette raison même, il est facile de l'obtenir chimiquement pur ; de sorte qu’agissant sur ce métal, je pouvais me rendre parfaitement compte des changements partiels pu

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entiers que pouvaient opérer les agents chimiques que j’employais.

Dans mes premiers essais, je pus me convaincre qu’une très minime quantité d’argent passait à l’état d’or, mais en si petite quantité que je doutai d’abord de la réussite du fait, quoique cependant je fusse bien convain- cu que l’argent que j'employais ne contenait pas la moin- dre quantité d’or.

Si je n’avais que ce résultatà montrer, on pourrait dou- ter et dire que l’argent employé n’était pas chimiquement pur: que d’ailleurs l’argent renferme toujours de l’or, et qu’il n’y a donc rien d’étonnant à ce que j’en aie trouvé. J’admettrais encore que l’argent pouvait contenir des tra- ces d’or ; mais ce que je ne puis admettre, c’est qu’ puisse y avoir illusion de ma part, lorsque, dans plusieurs autres expériences capitales que j’ai faites, j’ai vu tout l’argent employé changer d’aspect et de propriétés ; le métal qui, avant l’expérience, était en entier soluble dans l’acide azotique, est devenu complètement insoluble dans ce réactif ; il est devenu au contraire soluble en entier dans l’eau régale et les sulfures alcalins ; en un mot il a acquis toutes les propriétés chimiques et physiques de l’or l’argent tout entier s’est changé en or.

J’ajouterai que j’ai opéré sur d’assez grandes quantités,

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comme l’ai dit dans mon précédent mémoire, pour qu’il ne puisse me rester aucun doute sur le fait accom- pli ; j’ai suivi avec attention toutes les phases de ceS expériences qui ont été, fort longues, et si je ne puis pas toujours les répéter avec le même succès, le fait capital de la transformation de l’argent en or n’en existe pas moins.

J’ai l’honneur de mettre sous les yeux de l’Académie une faible partie de'çe premier or tel que je l’ai obtenu ; il est facile de se convaincre que ce produit a son cachet particulier qui le distingue de l’or de mine, de celui de placer et de celui des sables aurifères ; lorsqu’il est fondu, il est impossible de le distinguer de l’or natu- rel, parfaitement identique avec lui.

J’ai l’honneur de mettre sous les yeux de l’Académie un petit lingot de cet or fondu.

Pour parer à tout événement et conjurer toute éven- tualité relative à la découverte que j’ai faite, outre le pa- quet cacheté que j’ai déposé à l’Académie, j’ai remis en main tierce des échantillons de mon or artificiel et la description détaillée des procédés que j’ai employés pour l’obtenir.

Dans le cours des opérations dont je viens de parler, et que j’ai variées sous toutes les formes, j’ai remarqué des

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analogies frappantes dans le phénomène de la transforma- tion dès métaux divers surlesqnels j’ai opéré ; et, sans en- trer ici dans des détails inutiles, je crois pouvoir conclure de mes expériences que la transformation du cuivre en argent m’est démontrée et sera bientôt un fait acquis à la science ; que d’autres métaux, le fer, par exemple, peuvent être transformés en cuivre, en argent, en or.

Maintenant, il me faut obtenir en grand de l’or artifi- ciel : c’est ce procédé que je cherche, pour lequel les moyens me font défaut.

Cet aveu d’impuissance n’étonnera pas l’Académie : il est conforme à tous les précédents des inventeurs qui m’ont devancé ; aucun d’eux, que je sache, n’a perfec- tionné son invention avec ses propres moyens, et trop souvent ils en ont perdu le fruit, épuisés qu’ils étaient par les dépenses qu’ils avaient faites, ou découragés par l’in- crédulité et l’insouciance publiques.

Quant aux conséquences de la transformation de l’ar- gent en or, la production de l’or artificiel, je laisse à la sagesse de l’Académie à prévoir tout ce qu’elles pour- ront apporter de perturbations et d’avantages dans les relations commerciales des peuples, dans notre système financier, dans les valeurs .respectives des produits du sol et de l’industrie.

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En publiant ici le fait de ma découverte, j’ai moins pour but d’en tirer honneur ou profit, que d’enrichir la science et d’en faire profiter mon pays.

Instr-ument de la Providence qui a guidé mes essais, j’obéis à l’impulsion qui me pousse, et viens demander conseil et appui au premier corps du monde.

Je me borne ici, messieurs, à ces réflexions, en priant l’Académie d’honorer de son attention la communication que je viens de lui faire, et de m’accorder cet encoura- gement moral dont tout inventeur a besoin pour perfec- tionner son œuvre.

Je vais répondre maintenant à quelques objections qu’on m’a faites au sujet de mon premier mémoire.

Les uns me disent'ironiquement : « Puisque vous ave\ produit de l'or, que n'en produise\-vous d'abord quelques kilogrammes, puis des quintaux, puis enfin des tonnes, et vous deviendrez le premier potentat du monde, vous pour- rez détrôner l'empereur de Russie; votre découverte vaut plus que l'épée du grand Frédéric; a votre place, je

ME TAIRAIS. »

Je répondrai à cela par des faits connus de tous. Pourquoi Fulton n’est-il pas arrivé de suite à appliquer avantageusement la force motrice de la vapeur à la navi- gation Pourquoi a-t-il été obligé de demander le con-

LA TRANSMUTATION DES METAUX 63

cours et l’argent des souverains pour perfectionner son œuvre et l'appliquer en grand? Combien d’années n’a- t-il pas consacrées à sa découverte ?Que nebornait-il ses premiers efforts à une machine fonctionnant en petit ?

Pourquoi l’ingénieur français Lebon, qui découvrit le gaz de l’éclairage, pourquoi Leblanc, qui découvrit la soude artificielle, n’ont-ils pas tiré parti de leurs immor- telles découvertes? Lebon n’est-il pas mort dans la mi- sère ? Et cependant aujourd’hui les compagnies qui exploitent sa découverte font des fortunes colossales. Leblanc s’est-il enrichi par ses travaux?

Lors de la découverte de l’oxygène par Lavoisier, pour obtenir ce gaz, dans le principe, l’opération était fort longue et très dispendieuse; aujourd’hui c’est une des opérations les plus simples de la chimie : au lieu d’un procédé, on en a plusieurs qui fournissent ce gaz à très peu de frais, témoin, entre autres, celui de M. Bous- singault, qui, n’est, en réalité, qu’une affaire de combus- tible, puisque le même corps peut fournir constamment de l’oxygène. Et qui nous dit qu’il n’en sera point ainsi de la transmutation des métaux?

Pour en finir avec cette énumération, que je pourrais prolonger, je citerai la belle découverte de MM. Da- guerre et Niepce ; que de temps, que de dépenses et de

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l’or

soins ne leur a-t-elle pas coûtés ! Que ne disait-on à ces messieurs de continuer à perfectionner leurs procédés ? Ce n’est pas ce que coûtent quelques plaques d’argent, quelques grammes d’iode, de brome et de mercure ? N’y a-t-il pas de quoi faire des milliers d’expérience ? N’ont- ils pas vendu au gouvernement leur découverte, tout imparfaite qu’elle était alors ?

De ce moment elle a servi et sert encore à enrichir ceux qui l’exploitent en continuant à la perfectionner.

De même j’ai la conviction que la découverte de l’or artificiel sera une source d’immenses richesses pour ceux qui pourront l’exploiter, et rendra aux sciences, à l’in- dustrie et aux arts des services réels d'une incalculable portée.

D’autres personnes m’ont dit (et c’est pour cela que j’en parle ici) : « Votre découverte sera comme la produc- tion artificielle des pierres précieuses, qui coûtent plus que celles quon rencontre dans la nature. » Cette objection, messieurs, est sans valeur ; car, sans parler ici de la dé- couverte en elle-même ni de ses conséquences, je dis qu’il ne peut y avoir de comparaison possible entre ces deux productions artificielles, attendu que la plupart des pierres précieuses naturelles n'ont que peu de valeur, qu’elles en acquièrent au contraire beaucoup par l’art de

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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la taille; que, le plus souvent, la main-d’œuvre coûte plus que le prix de la matière brute. Il en est de même des pierres artificielles, et encore ces pierres ne sont em- ployées que comme objet de luxe ; elles n'ont que fort peu d’applications industrielles.

La production artificielle des métaux précieux,, au contraire, est telle, que la valeur de ceux-ci n’augmente que fort peu par le travail, et ils sont d’ailleurs d’un em- ploi journalier et considérable, comme base de toute in- dustrie, par leurs propriétés spéciales, qui les rendent de plus en plus indispensables à tout travail humain. Et que serait la civilisation, dont nous sommes si fiers ? que seraientles sciences physiques elles-mêmes, sans les mé- taux précieux .î* Il n’y a donc, comme on le voit, aucune comparaison possible entre la production des métaux précieux et celle des pierres fines, sous le double rap- port de leurs conséquences et de leur emploi comme agent de civilisation.

TROISIÈME MEMOIRE

Présenté le 8 mai 1854.

Les métaux sont des corps composés.

J’avais sollicité l’honneur de lira à l’Académie ce troi- sième Mémoire; depuis plus de trois mois je m’étais fait inscrire au secrétariat dans ce but. Ne sachant point au juste quand je pourrais obtenir mon tour de lecture, crai- gnant qu’il ne me fallût peut-être attendre encore plu- sieurs semaines, ma santé et le temps ne me permettant plus d’assister aux séances, je prends le parti de livrer mon travail à la publicité, tel que j’avais l’intention de le lire à l’Académie. Il me tarde d’avoir des juges et qu’on sache à quoi s’en tenir sur ma découverte. Ces considé- rations me font décliner l’honneur que j’av.ais sollicité de paraître devant l’Académie, honneur qui ne peut, après tout, ajouter aucune valeur de plus à ce mémoire.

LA TRANSMUTATION DES METAUX

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INTRODUCTION

Messieurs,

Dans mes précédentes communications, j’ai eu l’hon- neur d’annoncer à l’Académie ma découverte^ des moyens d’obtenir l’or artificiellement, d’opérer la transformation de l’argent en or; j’ai soumis à l’Académie, comparative- ment avec l’or des placers et l’or en lingots, l’or artifi- ciel que j’avais obtenu.

Beaucoup de savants considèrent encore de nos jours comme chimérique, la transmutation des métaux annon- cée par une foule de gens, les uns de mauvaise foi, les autres dupes de leurs propres illusions ; j’ai donc subir le sort commun, et l’annonce de ma découverte a rencontré beaucoup d’incrédules.

D’ailleurs, de quel poids pouvait être en faveur de mes affirmations, mon nom totalement inconnu dans la science, quand j’attestais la possibilité d’opérer la trans- mutation? La froideur avec laquelle mes efforts ont été accueillis n’avait pas lieu de me surprendre.

Loin de me plaindre de l'espèce de répulsion et de commisération qu’ont éprouvée ceux qui ont eu connais- sance de ma découverte, je crois devoir bien plutôt m’en

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l’or

féliciter : l’engouement en sa faveur aurait pu lui être funeste ; car, bien qu’elle soit parfaitement réelle, elle n’est basée que sur des opérations, sur une échelle très réduite, ayant produit seulementquelques grammes d’or. On n’aurait pas manqué de me sommer d’en produire des quintaux. Si, comme je l’espère, je parviens à con- vaincre l’Académie- de la réalité de mes succès, j’aurai conquis le double avantage de triompher de préjugés que, du reste, je comprends parfaitement, et de prouver une fois de plus que la Providence, dans ses vues impé- nétrables, daigne quelquefois se "servir du plus humble pour opérer de grandes choses.

Jusqu’à ce jour, messieurs, j’avais cru pouvoir espérer que, soutenu par l’opinion publique, je trouverais, pour donner suite à mes travaux, le concoursde quelques hom- mes éclairés, jaloux d’assurer avec moi à la France l’hon- neur et les avantages d’une découverte de cette nature. Mes espérances, je dois le reconnaître aujourd’hui, étaient vaines et illusoires ; sans attendre davantage, le moment est venu d’établir mon droit de priorité en livrant à la publicité mes procédés pour la production de l’or artifi- ciel.

Des milliers d’expériences, répétées et variées à l’in- fini, ont fait naître en moi, depuis plusieurs années, la

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

69-

conviction que ces procédés ne pouvaient que gagner à être exposés au grand jour. Après tout, il ne m’appar- tient peut-être pas de tenir caché plus longtemps un secret dont la divulgation doit appeler sur la production des métaux les investigations des savants, les travaux des chimistes éminents dont s’honore la France.

Tels sont les motifs qui m’ont valu l’honneur de paraî- tre devant vous, messieurs, prêt à fournir toutes les preu- ves de sincérité qu’il peut plaire à l’Académie de récla- mer de moi, prêt à opérer sous ses yeux avec les matiè- res premières qu’elle-même aura mises à ma disposition.

Enfin, avant d’entrer en matière, je dois rendre compte à l’Académie des raisons d’opportunité qui me détermi- nent à lui faire en ce moment cette communication. Après cinq années entières de séjour et de voyages dans toutes les parties du Mexique, sans autre ressource pour sub- venir aux frais de mes expériences que le produit de mes travaux en photographie, je revins en France avec un modeste capital, fruit de mes économies, pour compléter ma découverte au moyen de quelques instruments de précision que je ne pouvais me procurer au Mexique, et , de nouvelles recherches confirmèrent pleinement les ré- sultats obtenus par moi sur cette terre des métaux pré-

cieux.

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l’or

Bientôt je vis mes ressources diminuer, sans savoir si elles suffiraient pour me donner le temps d’atteindre le but de mes travaux ; je prévoyais l’instant tout allait me manquer à la fois. Je n’hésitai point à sacrifier une partie de ce qui me restait pour me créer des moyens d’existence ; j’en trouvai dans l’exploitation de quelques instruments relatifs aux arts physiques. Malheureusement ces ressources sont trop limitées pour me permettre de conduire ma découverte à la perfection qu’elle doit attein- dre. Je prends donc la résolution de la livrer, telle qu’elle est, à la publicité, dans l’intérêt de la science et pour l’honneur qui doit rejaillir sur mon pays ; je mets en demeure ceux qui ont les moyens de travailler sur mes données et mes procédés, d’en enrichir les arts et le com- merce. Ce n’est pas sans éprouver un sentiment pénible que j’adopte cette résolution; il m’eût été doux de mar- cher seul jusqu’au but, de l’atteindre/ et de faire hom- mage à mon siècle d’un succès conquis par mes seuls efforts^ N’importe, je n’en seconderai pas moins cordia- lement de tout mon pouvoir toute tentative faite pour aller en avant dans la carrière que j’ouvre aujourd’hui. Car la réalité du grand fait que j’avance ne laisse subsis- ter aucun doute dans mon esprit; seulement j’aurais voulu u’offrid au public mes procédés qu’avec un degré

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

de plus de précision et de sécurité: se bornait toute mon ambition.

Mais, à part les ressources premières, tout me manque, la stabilité, l’absence de préoccupations personnelles, la faculté de suivre sans distraction et avec maturité les phénomènes complexes de la transmutation des métaux. De longues expériences sur l’influence de la lumière so- laire ont compromis chez moi les organes de la vue, les fatigues ont miné ma santé ; des travaux d’un autre or- dre que m’impose la nécessité de soutenir ma famille, me forcent à m’avouer mon impuissance, quand j’ai la con- viction, la certitude morale de la possibilité d’un succès prochain, en opérant en grand, s’il m’était donné de vain- cre les causes toutes matérielles de cette impuissance.

En présence de ces circonstances que je viens d’expo- ser à l’Académie dans toute leur vérité, j’exécute ma ré- solution de rendre publics mes procédés pour obtenir l’or artificiel. Que l’Académie me pardonne d’avoir osé l’en entretenir ; le sentiment d’amour de la science qui seul me dicte ma démarche porte avec lui son excuse.

PREMIÈRE PARTIE

Pour le voyageur éclairé qui parcourt les provinces mexicaines en observant avec une attention intelligente

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l’or

l’état minéralogique de ce pays, ses terrains d’alluvion, ses placers et ses gisements de métaux précieux, il res- sort de cet examen un fait propre à jeter un grand jour sur la production naturelle de ces métaux. Ce fait, c’est la présence, je pourrais dire l’extrême abondance des nitrates de potasse et de soude quis’effleurissent de tou- tes parts à la surface du sol, et qui s’accumulent en cris- i

taux réguliers dans le lit des torrents descendant des montagnes ; on en exploite même des masses naturelle- j

ment assez pures pour qu’elles puissent être employées «

à la fabrication de la poudre de mine. i

On y rencontre également des iodures, des bromures et des chlorures en quantités notables ; les pyrites, autre '

agent non moins important, se trouvent en contact per- pétuel avec les azotates alcalins ; cet agent apporte sa i

part d’influence certaine sur la production des métaux. j

Ces deux classes de corps composés agissant sous la double influence de la lumière et de la chaleur, donnent '

lieu à des phénomènes. électriques d’où résultent la dé- i

composition des terrains métallifères, et les combinai- J

sons nouvelles d’où proviennent les métaux.

Cette manière de voir, cette théorie de la fermentation des métaux, peut être soutenue ou combattue; je dirai seulement qu’eile a pour moi un degré de probabilité qui

1

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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est devenu le guide et le point de départ de mes recher- ches.

L’opinion de la transmutation, de la perfectibilité des métaux, est si généralement admise par les mineurs du Mexique, qu’il ne faut pas s’étonner de leur entendre dire en parlant des morceaux de minerai qu’ils admettent ou rejettent pour l’exploitation ; « Ceci est bon et mur ; ceci est mauvais et n’est pas encore passé à l'état d'or. »

A mon point de vue, les réactions sous l’influence des- quelles a lieu la transformation des métaux, constituent un phénomène complexe le principal rôle appartient aux composés oxygénés de l’azote. L’action de la cha- leur, de la lumière, de l'électricité, favorise ou déve- loppe, dans de certaines limites, les combinaisons de ces composés avec le radical inconnu qui constitue les mé- taux. Tout me porte à croire que ce radical est l’hydro- gène que nous ne connaissons qu’à l’état gazeux et dont les autres états physiques échappent à nos recherches. L’azote semble agir dans ces combinaisons comme agi- rait un ferment dans les transformations des matières organiques sous l’influence de ce même agent. La fixa- tion de l’oxygène, sa combinaison plus ou moins durable avec le radical, sous l’action d’un composé azoté : voilà pour moi la clef de la transformation des métaux.

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l’or

Que ces idées théoriques soient vraies ou fausses, exactes ou erronées, c’est ce que je n’entreprendrai, pas de discuter ici ; je crois devoir me borner à dire que, sans qu’il m’ait été possible d’acquérir la certitude ma- thématique de leur réalité, leur influence a présidé à mes expériences ; leur probabilité à mes yeux est née des eflets notés pendant plusieurs années d’observations. Si j’en fais mention, c’est pour mieux faire comprendre la marche que j’ai suivie, et jeter peut-être quelque clarté sur la route marcheront ceux qui suivront après moi le même ordre de recherches.

Quoi qu’il en soit, je tracerai l’exposé succinct du ré- sultat de mes observations ; leur filiation permettra de saisir par quels enchaînements de faits et d’idées j’ai été amené à concevoir la théorie que je viens de résumer.

Un premier fait que chacun peut reproduire à vo- lonté a été mon point de départ. Si l’on réduit en limaille de l’argent pur et que l’on fasse agir sur lui de l’acide azo- tique également pur, certaines parcelles de cette limaille resteront insolubles dans l’acide ; elles ne disparaîtront qu’après que la dissolution aura été, pendant plusieurs jours, abandonnée au repos.

Si l’on projette de la limaille d’argent pur dans des tubes de verre de 4 à 5 millimètres de diamètre, sur 12 à

LA. TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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I ^ centimètres de hauteur, remplis au tiers de leur capa- cité d’acide azotique à 36 degrés, après que cet acide aura été, pendant un certain temps, exposé à l’action des rayons solaires, on verra qu’une certaine portion des par- celles d’argent restera complètement insoluble dans l’acide, malgré l’élévation de température produite par la réac- tion.

Si l’on opère sur un alliage de neuf dixièmes d’ar- gent et un dixième de cuivre, la réaction sera plus vive et l’insolubilité de certaines parties de l’alliage sera la même que dans l’opération précédente.

4“ Le phénomène se reproduira encore, si l’on opère sur le même alliage, hors du contact des rayons solaires.

1;° Dans toutes ces expériences, indépendamment de l’insolubilité des parcelles d’argent pur ou d’alliage, on pourra constater la présence d’un léger dépôt brun inso- luble.

6“ En variant ces expériences par l’emploi de l’acide azotique à divers degrés de dilution, après l’avoir toute- fois exposé à l’action des rayons solaires pendant un temps plus ou moins prolongé, j’ai pu recueillir des par- celles de métal parfaitement insolubles dans l’acide azo- tique pur et bouillant, solubles au contraire dansja solu- , tion de chlore.

l’or

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70 Des expériences comparatives m’ont permis de re- connaître :

1“ Que l’or, introduit en petite quantité dans l’alliage, facilite la production artificielle de ce métal.

2“ Que l’argent pur est beaucoup plus difficile à faire passer à l'état d’or que lorsqu’il est allié à d'autres métaux.

Que, comme je l'ai énoncé dans mon premier mé- moire, la force catalytique est pour quelque chose dans a transmutation des métaux.

4'^ Que le chlore, le brôme, l’iode et le soufre, en pré- sence des composés oxygénés de l'azote, favorisent la pro- duction des métaux précieux.

Que l’air ozonisé paraît activer cette production.

Que la température de 25 degrés et au-dessus est favorable à l’accomplissement de ce phénomène.

Que les résultats heureux dépendent en grande par- tie de la durée des opérations.

Sur ces premiers faits observés, qui ne s’étaient pas offerts avec le même degré de certitude, non plus qu’avec des caractères parfaitement identiques, je basai de nou- velles recherches ayant pour principe l’influence de la lumière solaire, si intense et si favorable sous le beau cli- mat du Mexique. Mon premier succès fut obtenu à Gua- dalajara. 'Voici dans quelles circonstances :

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

77

Après avoir exposé, pendant deux jours, à l’action des rayons solaires de l’acide azotique pur, j’y projetai de la limaille d’argent pur allié à du cuivre pur dans la propor- tion de l’alliage de la monnaie. Une vive réaction se manifesta accompagnée d’un dégagement très-abondant de gaz nitreux; puis la liqueur, abandonnée au repos, me laissa voir un dépôt abondant de limaille intacte agglo- mérée en masse.

Le dégagement du gaz nitreux continuant sans inter- ruption, j’abandonnai le liquide à lui-même pendant douze jours, je remarquai que le dépôt agrégé augmentait sen- siblement de volume. J’ajoutai alors un peu d’eau à la dissolution sans qu’il se produisît aucun précipité, j’aban- donnai encore la liqueur au repos pendant cinq jours. Durant ce temps, de nouvelles vapeurs ne cessèrent de se dégager.

Ces cinq jours écoulés, je portai la liqueur jusqu’à l’ébullition, je l’y maintins jusqu’à cessation du dégage- ment des vapeurs nitreuses, après quoi je fis évaporer à siccité.

La matière obtenue par la dissication était sèche, terne, d’un vert noirâtre ; elle n’offrait aucune apparence de cristallisation ; aucune partie saline ne s'était déposée.

Traitant alors cette matière par l’acide azotique pur

et bouillant pendant dix heures, je vis la matière devenir d’un vert clair sans cesser d'être agrégée en petites mas- ses; j’y ajoutai une nouvelle quantité d’acide pur et con- centré ; je fis bouillir de nouveau ; c’est alors que je vis enfin la matière désagrégée prendre le brillant de l’or naturel.

Je recueillis ce produit et j’en sacrifiai une grande par- tie pour le soumettre à une suite d’essais comparatifs avec de l’or naturel pur ; il ne me fut pas possible de constater la plus légère différence entre l’or naturel et l’or artificiel que je venais d’obtenir.

Ma seconde expérience, du même genre que la pré- cédente, eut lieu à Colima ; les phénomènes se produisi- rent comme à Guadalajara, sous l’influence de la lumière solaire, qui ne cessa d’agir pendant tout le traitement de l’alliage par l’acide azotique : seulement, je réduisis à huit jours la durée du premier traitement, et l’acide que j’employai fut assez étendu d’eau pour que l’action so- laire seule ne pût produire le dégagement des vapeurs nitreuses. Or, comme celles-ci ne cessèrent point de se dégager, j’attribuai ce fait à un courant électrique à l’espèce de fermentation dont l’azote me paraît être le principe. Le gaz nitreux continua à se dégager constam- ment, tant que la liqueur ne fut pas portée à l’ébullition.

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX 7Q

Je terminai cette opération comme la précédente; néan- moins, dans cette seconde expérience, j’employai, vers la fin de l’opération, plus d’acide concentré, pour ame- ner la désagrégation de la matière et l’amener à prendre la couleur brillante de l’or.

Je fis une troisième expérience à mon re'our à Gua- dalajara, elle réussit complètement comme les deux précédentes sans présenter aucun phénomène extraor- dinaire digne d’être noté ; la quantité d’alliage que j’avais mise en expérience se transforma tout entière en or pur, ainsi que je l’ai dit dans mon second mémoire.

"Voilà, messieurs, dans toute sa sincérité, le fait obte- nu, le résultat constant que j’ai pu reproduire plusieurs fois au Mexique ; ce fait, je ne réussis pas à le repro- duire en France, et en agissant sur des quantités plus considérables. J’apprécie mal, sans doute, les causes qui agissent dans les réactions en vertu desquelles des mé- taux, solubles dans l’acide azotique, deviennent insolu- bles en se constituant en un état moléculaire particulier, d’où résultent des propriétés entièrement différentes de celles que ces mômes métaux possédaient avant d’avoir subi ces réactions.

Ces changements, auxquels l’action de la lumière so- laire paraît contribuer si puissamment, doivent-ils être

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l’or

attribués à un état électrique ou magnétique spécial, ou bien au rôle de l’azote sous cette influence ?

Enfin y a-t-il production d’un oxyde particulier de 1 argent et du cuivre, tel que ceux que nous prés.ente le fer ? C’est ce que, jusqu’à présent, je n’ai pu vérifier.

SECONDE PARTIE

Messieurs,

Après avoir, comme je viens de l’exposer, répété un grand nombre de fois les expériences qui précédent, toujours opérant sous l’influence des rayons solaires sans pouvoir découvrir quelles causes déterminaient ou empêchaient la production de l’or artificiel, quand je va- riais les procédés ou que j’y apportais seulement de lé- gers changements, je voulus enfin m'assurer de l’effet réel de la lumière en opérant en dehors de cette influ- ence. Voici le résumé de mes tentatives dans cette voie, tentatives couronnées de succès.

Ayant mêlé douze parties d’acide sulfurique concentré et deux parties d’acide azotique à 40 degrés, je remplis de ce mélange, jusqu’au quart de leur capacité, tu- bes de verre je projetai de la limaille d’argent

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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et de cuivre, préparée avec les métaux purs, le cuivre entrant pour un dixième de cet alliage. Après la première réaction, accompagnée d’émission plus ou moins abondante de gaz nitreux, selon la quantité d’acide azotique admise dans le mélange on voit la dissolution prendre une belle teinte violette : on porte alors à l’ébul- lition qu’on maintient pendant plusieurs jours, en ajou- tant de temps à autre, selon le besoin, de l’acide sulfu- rique pur et concentré, de manière à chasser tout l’acide azotique.

Cette durée prolongée de l’ébullition est nécessaire parce que les deux acides forment une combinaison très stable ; tant que cette combinaison subsiste, l’or ne se dépose pas. On peut aussi remarquer qu’après plusieurs jours d’ébullition, si l’on vient à ajouter à la dissolution un peu d’eau, il se produit encore un faible dégagement de gaz nitreux, ce qui indiquerait que l’acide sulfurique très concentré a plus d’affinité pour l’eau que pour ce composé azoté. Pour se débarrasser des vapeurs nitreu- ses, qui pourraient y rester encore, il faut y ajouter un peu de sulfate d’ammoniaque et faire bouillir de nouveau.

Dans ces expériences l’or paraît dissous à la faveur du gaz nitreux, car, à mesure que la quantité de gaz devient plus faible, l’or se précipite en pellicules excessivement

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l’or

minces qui se déposent, par le refroidissement, sur les parois du tube du côté il est incliné ; on peut les y distinguer à la vue simple. Quand la quantité d’or produit est assez grande, le métal se réunit en masse au fond du tube.

Un autre moyen, d’un effet moins lent, consiste à rem- placer, dans l’expérience précédente, l’acide azotique, par l’azotate de potasse.

J’ai varié, je le répète, ces essais à l’infini; sauf sous l’empire de circonstances accidentelles, j’ai généralement observé les mêmes résultats.

C’est à l’Académie qu’il appartient de prononcer sur la valeur de ces expériences. Je suis prêt, comme je l’ai exprimé au début de ce mémoire, à opérer sous les yeux d'une commission prise dans le sein de l’Académie avec les réactifs qui me seront fournis par cette commission.

J’ai beaucoup médité sur une théorie probable qui peut guider les chimistes dans les opérations ayant pour but la productiou de l’or artificiel. Je pourrais exposer les fortes inductions, les analogies plus ou moins frappan- tes, capables d’éclairer les doutes sur la valeur des agents auxquels j’attribue la production de l’or ; mais je com- prends la nécessité d’être sobre de réflexions et de ne point abuser de l’indulgence de l’Académie. Plus tard,

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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si un pareil travail devient opportun, je pourrais dévelop- per les idées qu’ont éveillées en moi les faits curieux, objets de mes observations, depuis quinze années con- sacrées à des expériences sur le même sujet.

QUATRIÈME MÉMOIRE

Présenté à V Académie des Sciences dans la séance du 7 août 1854.

Les métaux sont des corps composés.

Mes essais de transmutation des métaux ont eu pour point de départ l’observation des faits. Ayant dissous une petite quantité d’argent exempt de traces d’or dans de l’acide nitrique parfaitement pur, cet argent, précipité de sa dissolution légèrement acide par du cuivre pur, ne m’a fourni, au moment il venait d’être obtenu, aucune par- celle d’or; ce même précipité, soumis, au bout de plu- sieurs mois, à la même méthode d’essai, me donna des traces d’or. D’autres échantillons d’argent précipité par divers métaux purs, obtenus depuis longtemps, essayés et étiquetés : argent exempt de traces d’or m’ont égale- ment permis de constater le même résultat.

Je ne savais précisément à quoi attribuer ce fait, soit à une transformation lente de l’argent en or, soit à la pré- sence préalable de parcelles d’or, soit dans l’argent, soits

LA TRANSMUTATION DES METAUX

dans les métaux employés à la précipitation. J’ai renou- velé les mêmes expériences de la manière suivante : j’ai opéré sur de l’argent pur, réduit par la craie et le char- bon de son chlorure parfaitement lavé à l’eau de chlore, puis à l’eau pure. J’ai fait dissoudre une partie de cet argent dans l’acide nitrique pur, et une autre partie dans l’acide sulfurique pur. Les deux dissolutions ont été étendues d’eau distillée, puis filtrées. L’argent de ces deux dissolutions a été précipité en partie par du cuivre pur, en partie par un alliage de cuivre et zinc, avec un peu de fer ; les précipités lavés à l’eau distillée, puis sou- mis à la méthode d’essai précédemment employée, n’ont pas fourni le moindre signe de la présence de l’or.

Ces divers précipités d’argent ayant été exposés pen- dant plus de huit mois au contact de l’air, puis essayés de nouveau, j’ai pu constater dans tous la présence de l’or, en quantité faible, il est vrai, mais très visible au soleil à la vue simple.

La plus forte proportion d’or a été fournie par l’argent précipité de sa dissolution azotique, au moyen de l’alliage des métaux cuivre, zinc et fer. La dissolution azotique d’argent, précipitée par le cuivre seul réduit de son chlo- rure par l’hydrogène, a tenu le second rang, quant à la production de l’or. L’argent précipité de sa dissolution

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l’or

dans l’acide sulfurique a donné de l’or en quantité moin- dre, toujours en opérant sur la même quantité de matière première, et avec le même acide employé à la même dose. S’il fallait en juger d’après les atômes produits dans ces expériences dans un temps donné, le temps nécessaire pour faire passer en entier l’argent à l’état d’or serait de plusieurs siècles. -

Dans ces essais, j’ai opéré sur 50 centigrammes de précipité.

J’ai constaté l’accélération de la transformation de l’argent en or dans le précipité d’argent obtenu comme je l’ai indiqué plus haut, à travers lequel j’ai fait passer un courant électrique. J’ai entrepris dans cette voie une nouvelle série d’expériences ; dès qu’elles seront termi- nées, j’en ferai connaître le résultat.

Je ne saurais insister trop vivement auprès des physi- ciens, pour éveiller leur attention sur le rôle important que l’électricité est appelée à jouer dans la transmutation des métaux. Les expériences citées dans mon troisième mémoire, spécialement celle j’ai projeté de la limaille d’argent dans l’acide azotique chauffé au soleil, n’en sont-elles pas une preuve ^ Dans cette expérience la li- maille d’argent s’est agglomérée en masse au sein de son propre dissolvant, et n’a formé qu’un tout, pendant tout

LA. TRANSMUTATION DES METAUX 87

le temps qu’à duré la transformation de l’alliage en or pur. La matière n’a pris la couleur de l’or naturel qu’au moment elle a commencé à se désagréger ; l’empreinte de la lime, cachet d’authenticité facile à reconnaître pour cet or artificiel, s’y distingue encore aujourd’hui. Je défie toute main humaine d’en produire l’imitation avec de l’or naturel ; les forces mystérieuses de la nature ont passé sur cette limaille d’argent alliée au cuivre ; elles lui ont pro- curé, comme il est facile de s’en convaincre, un mode d’agrégation moléculaire différent de celui de l’alliage employé à l’opération.

Cette agglomération, prise et conservée par la limaille, ne peut être due qu’à un état électrique ou magnétique particulier, développé sans doute par l’action chimique, secondée par la radiation solaire. Je me propose de faire connaître, dans un travail ultérieur, les effets de la lu- mière solaire sur l’argent précipité de sa dissolution azo- tique par le cuivre pur.

11 résulte pour moi de ces expériences, la conviction qu’au moyen du fluide électrique employé sous l’un de ses divers états, on opérera très rapidement la transfor- mation de l'argent en or ; le maximum de rapidité ne devra être atteint qu’à une température élevée, dans des atmosphères à divers degrés d’électricité et de chaleur,

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l'or

mais où, cependant, la chaleur et l’électricité conserve- raient toujours entre elles un même rapport ; c’est de même, en effet, qu’on est parvenu à opérer la précipita- tion du cuivre à l’état de fusion dans un bain métallique au moyen du fer, comme elle a lieu à la température or- dinaire, en plongeant dans une dissolution de cuivre une lame de fer décapée-.

Quoiqu’il reste quelque incertitude dans les résultats de mes procédés, le fait n'én subsiste pas moins. Ce qui nuit à cette découverte, c’est qu’elle est dans l’enfance -

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mais toute découverte, même celles qui ont remué le monde, n’ont-elles pas eu aussi leur période d’enfance Que lui faut-il pour être acceptée ? l’équivalent d’un par- rain influent, quelque haut patronage dans le monde de la science appliquée. Qu’elle en trouve un, et on la verra se développer, grandir, porter enfin ses fruits. Les pro- cédés perfectionnés ne lui manqueront pas ; on lui trou- vera, comme on en a trouvé pour la photographie, des |

substances accélératrices, grâce auxquelles la transmu- ,

tation des métaux pourra s’opérer très rapidement. 1

)

Le procédé qui m’a réussi plusieurs fois au Mexique ;

recevra, je n’en doute pas, des perfectionnements en vertu ;

desquels on pourra opérer à coup sur. Alors cette indus- (

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LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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trie féconde réalisera tout ce que peuvent en attendre les sciences, les arts et le commerce.

Pourquoi n’ai-je pas demandé, soit à l’Académie, soi au public, par la voie des journaux, une avance de cin- quante mille francs pour aller au Mexique me livrer à ces recherches scientifiques sur les métaux, dans le but de prouver authentiquement que ces corps sont compo- sés, qu’ils dérivent les uns des autres, qu’ils se perfec- tionnent incessamment dans le sein de la terre, et que la production artificielle des métaux précieux est parfaite- ment dans l’ordre des choses possibles ? C’est que je prévoyais que cet appel serait sans résultat, que je n’obtiendrais pas de fonds, que mon temps, mes démar- ches et mes avances seraient en pure perte, et qu’on se raillerait de mes efforts par-dessus le marché.

Cependant, cette somme, je l’ai dépensée au Mexi- que'pour arriver à ma découverte; cet argent, je ne l’ai demandé qu’à mon travail. Ainsi que je l’ai dit dans mon premier Mémoire, un daguerréotype m’a fourni les moyens de faire mes recherches avec mon attirail de chi- miste photographe.

Après un succès aussi complet que je pouvais le dési- rer, puisque j’étais arrivé à la transformation complète de l’argent en or pur, sans m’être attendu il est vrai, à

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l’or

un si merveilleux résultat, on a refusé d’y croire. Le métal choisi pour base de mes recherches a produit à la fois le succès de l’opération et la méfiance du monde scientifique. Pent-être m’aurait-on cru plus aisément, si j’avais pris pour sujet de mes tentatives tout autre métal, le fer, par exemple, et que je fusse parvenu à le trans- former en cuivre pur. Mais quand j’affirme que j’ai fait de l’or, c’est, dit-on, vraiment trop beau pour y croire ; c’est à qui me jettera et m’accablera de sarcasmes outra- geants. Mais rien de tout cela ne saurait me décourager ; comme le croyant persiste dans la foi, je persisterai tant qu’il me restera des forces pour travailler.

En arrivant à Paris, je crus suivre la bonne voie en consacrant mes économies à perfectionner ma découver- te. Je me disais : Quand je n’aurai plus le moyen de poursuivre avec mes seules ressources, je ferai part de mes travaux à l’Académie, qui, sans doute s’empressera, de constater les faits. Cela seul suffira pour me faire trouver les moyens de poursuivre mes expériences. Au- jourd’hui la force des choses me réduit à faire des por- traits photographiés pour subsister, en attendant le rap- port de la Commission désignée pour prononcer sur ma découverte.

Mes contradicteurs applaudissent à cette décadence et

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elle est déjà à leurs yeux une preuve en leur faveur con- tre moi; mais, qu’ils ne croient pas que pour cela j’aban- donne ma découverte. J’ai ce qu’ils ne peuvent avoir, la conviction de ce que je soutiens, la conscience de la réalité de mes résultats ; elle me donne' à moi seul plus de force que n’en ont tous ceux qui nient, sans sincérité dans leurs dénégations. La vérité se fera jour malgré tout. ^

Quelques journalistes, en rendant compte des séances de l’Académ'e, ont daigné parler de ma découverte. J saisis l’occasion de les en remercier sincèrement ; j’ai surtout à rendre grâce à M. Victor Meunier, de la Presse, et au rédacteur de la partie scientifique de la Lumière, pour les paroles d’encouragement par lesquel- les ils engagent les hommes compétents à répéter mes ex- périences. Si j’étais suffisammunt favorisé de la fortune je dirais aux partisans de la science, aux amis du progrès Venez travailler avec moi! Je ne puis malheureusement leur offrir que des explications aussi précises qu’ils pour- ront les désirer; elles les aideront assez, j’en ai l’assu- rance, pour faire naître promptement en eux la convic- tion de la réalité du fait ; je ne veux rien au delà ; après quoi, ils auront, je l’espère, la force de progresser seuls.

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l’or

Je dirai à ceux qui, sans être très-versés dans les scien- ces physiques et chimiques, voudraient cependant tenter des expériences de transmutation des métaux d’après les données qui précèdent, que le succès peut également couronner leurs efforts ; la pratique l’emporte, et de beaucoup, sur la théorie ; la pratique peut toujours con- duire à des progrès nouveaux, souvent à des progrès tout à fait imprévus et inespérés.

On doit prendre pour base des expériences l’argent, par les raisons développées dans mon second Mémoire ; on pourra ensuite les varier de plusieurs manières, afin de mieux se rendre compte des résultats et de ne pas s’écarter de la vérité. Qu’on opère avec des métaux faciles à obtenir parfaitement purs, qu’on renouvelle fré- quemmeht des expériences comparatives, et l’on sera toujours ramené dans la bonne voie, s’il arrivait qu’od s’en écartât.

J’ai longtemps poursuivi la recherche d’un réactif très- sensible, permettant de constater la présence de la plus petite parcelle d’ordans d’argent; une eau régale, compo- sée de 1 2 à 13 parties d’acide sulfurique pur et d’une par- tie d’acide nitrique également pur, est le réactif auquel je me suis arrêté comme au plus sensible de tous ceux qu’il m’a été donné d’essayer.

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Sa manipulation est un peu longue ; mais il a l’avantage de déposer l’or avec sa couleur naturelle et un éclat mé- tallique parfait, qui permet d’en distinguer la moindre parcelle. Il est bon d’observer que, quand les métaux alliés à l’argent sont en trop forte proportion, ce réactif n’est plus aussi sensible ; il convient, dans ce cas d’y ajou- ter une plus forte dose d’acide azotique.

J’insiste sur la nécessité, pour ceux qui veulent se li- vrer à des expériences de cette nature, de s’assurer d’un réactif d’une grande sensibilité ; c’est un point tellement capital, que souvent, faute d’avoir pu se rendre compte des résultats minimes dus â l’action des agents chimiques ou autres, on rejette un procédé bon en lui-même, dont il n’a pas été possible de bien apprécier la valeur, alors que peut-être on approchait du résultat souhaité.

Je joins ici la liste des objets qui composent le maté- riel nécessaire aux expériences de transmutation. Ce matériel n’est pas très-considérable. Il faut posséder deux fourneaux, l’un à main, l’autre à réverbère; quel- ques cornues et creusets de terre ; des tubes fermés à un bout, avec un support; un porte-filtre, des enton- noirs ; quelques cornues de verre, des capsules de por- celaine ; des verres à expériences, une lampe à alcool.

En fait de produits chimiques, il faut des acides sultu-

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l’or

rique, nitrique et hydrochlorique purs, du nitrate de potasse pur, du peroxyde de manganèse, du chlorate de potasse, du nitrate d’ammoniaque, de l’eau distillée; des métaux, argent, cuivre, fer et zinc, aussi parfaitement purs que possible.

On le voit, je ne me réserve rien, j’ouvre la voie toute large à ceux qui voudront y marcher avec moi, mais, en présence de mes convictions profondes, quand la trans- mutation des métaux, admise dans la pratique, peut réa- gir avec tant d’énergie sur les destinées de la France, élever la voix pour proclamer ma découverte et la faire accepter, c’est plus que mon intérêt, c’est mon devoir.

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CINQUIÈME MEMOIRE

Présenté à V Académie des Sciences dans la séance du ib octobre 18^4.

Sur la transmutation des métaux.

SOMMAIRE ;

De la transmutation en or de l’argent allié, Des expérien- ces faites à la Monnaie impériale de Paris. 5“ De la difficulté d’amener les métaux à l’état chimiquement pur. 4®Deladémo- nétisation de l’or et de l’argent. ^

Dans mes précédentes communications, j’ai exposé comment, quand on projette dans l’acide nitrique pur de la limaille d’argent pur ou allié au cuivre, il se forme tou- jours un dépôt noir plus ou moins abondant, dans lequel, la plupart du temps, on ne reconnaît nullement l’appa- rence de l’or, surtout quand la production de ce métal est trop minime pour permettre de distinguer les atômes d’or artificiel produits. Afin qu’il ne puisse rester ancun doute dans l’esprit de l’opérateur, décantez avec soin la

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partie limpide, puis ajoutez dans le tube de l’acide sul- furique pur, dix à douze fois le volume du liquide restant; en chauffant on fait disparaître entièrement le dépôt noir et la liqueur devient parfaitement limpide. Maintenez pendant trente-six heures au moins le tube dans un bain •de sable à une température de 300 degrés environ ; chauffez plutôt plus lontemps que moins; l’or ne se dépo- sant pas toujours, quoiqu’il en existe dans la liqueur, il se forme, sans doute, un sel double d’argent et d’or très stable, qui se produit en présence des deux acides sul- furique et nitrique, et empêche l’or de se déposer. C’est, ce me semble, ce qui peut expliquer comment dans deux expériences faites sur le même argent, dans les mêmes circonstances, avec les mêmes acides, l’une donne de l’or, tandis que l’autre n’en donne pas. Cet effet est-il •dû à la présence de composés oxygénés de l’azote restant dans l’acide sulfurique? C’est ce que j’ai peine à croire, ayant observé plusieurs fois que le dépôt d’or avait lieu alors qu’il existait encore du gaz nitreux dans l’acide. J’ai observé que plus les tubes sont étroits, plus la décan- tation du nitrate a été complète, plus le dépôt de l’or se fait facilement ; les pellicules métalliques se rassemblent toutes au fond du tube ; tandis que s’il se déposait des cristaux de sulfate d’argent dans la liqueur, ceux-ci divi-

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seraient l’or dont la présence ne serait plus aussi appré- ciable... On peut voir que le dépôt de l’or de ces deux acides est aussi un phénomène complexe qui demande à être étudié avec soin, afin de rendre compte des circons- tances qui l’empêchent quelquefois de se déposer.

Lorsqu’on n’est pas trop pressé par le temps, il faut toujours laisser s’écouler un intervalle de plusieurs jours entre la première opération et la suite, en ayant soin de maintenir les tubes à une température de 50 à 60 degrés. Si le temps le permet, exposez les tubes à la radiation solaire, après quoi, l’on décantera la partie claire du ni- trate d’argent sans faire bouillir; le résidu sera ensuite traité par l’acide sulfurique, comme il a été dit plus haut. Lorsqu’on chauffe les tubes, il se dégage des vapeurs ni- treuses qui continuent de se produire jusqu’à la décom- position complètede l’acide nitrique la liqueur conserve, tant qu’elle est chaude, une faible teinte jaunâtre qu’elle perd par le refroidissement.

En poursuivant mes expériences de transmutation, j’ai observé, ce qui pouvait être prévu d’après mes premiers résultats, qu’en dissolvant à plusieurs ijeprises dans l’a- cide nitrique pur le même argent allié au cuivre (ces deux métaux étant exempts d’or) et précipitant à chaque fois l’argent de sa dissolution par le même cui-

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l’or

vre, après quatre précipitations successives, j’ai pu faci- ement constater la présence de l’or dans l’argent allié au cuivre. Si l’on fond à chaque fois l’argent, la quantité d’or produite sera plus grande : ce qui semblerait indi- quer encore que certaines parties d’argent changent d’é- tat moléculaire en passant par ces variations de tempéra- ture, et que ces parties modifiées sont plus aptes à pas- ser à l’état d’or en présence des composés oxygénés de l’azote. On m’a objecté que l’or provient du cuivre em- ployé à la précipitation de l’argent; j’ai essayé ce même cuivre, en quantité plus grande que celle employée à ces précipitations successives, sans avoir pu en obtenir les moindres traces d’or. (J’ai entrepris de nouvelles expé- riences dans le but de parer à ces objections ; aussitôt qu’elles seront terminées, j’en ferai part à l’Académie). Je me demande pourquoi la présence du cuivre ne faci- Ûerait pas pour l’argent le moyen de passer en tout ou en partie à un état moléculaire différent, qui, sous cer- taines inffuences, par exemple sous celles des composés oxygénés de l’azote, favoriserait la fixation de l’oxygène dans ces parties, en leur procurant un état moléculaire semblable à celui de l’or, avec les propriétés de ce mé- tal ? Pourquoi cette fixationd’oxygène, si réellementelle a lieu, ne se produirait-elle pas d’une manière inverse de

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celle qui se produit dans les essais d’argent par la cou- pellation, au moment s’accomplit ce curieux phéno- mène qu’on appelle l’éclair ? L’intéressant travail de M. Levol à ce sujet, ne peut laisser, ce me semble, aucun doute sur ce fait, que l’argent, a une haute tempé- rature, cède au cuivre l’oxygène qu’il a absorbé dans l’air au moment la température s’abaisse, et l’argent passe à l’état solide. Pourquoi, je le demande, un effet inverse n’aurait-il pas Heu ? La chimie n’offre-t-elle pas d’exemples de semblables réactions?

J’ai observé également que la présence du fer, en petite quantité, facilite la production de l’or.

Expériences faites à la Monnaie impériale de Paris, en présence de M. Levol, essayeur.

séance, commencée à une heure et demie et termi- née à trois heures. Deux alliages d’argent exempts d’or ont été fournis par M. Levol, l’un à 900 millièmes, l’au- tre à 85 O millièmes ; une partie de chaque alliage a été réduite en limaille, puis passée à l’aimant; deux centi- grammes de chaque limaille ont été projetés dans l’acide nitrique à 40 degrés, versé préalablement dans les tubes Certaiijes parties de limaille ne se sont dissoutes qu’après une ébullition prolongée ; puis on a constaté dans cha-

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l’or

que tube la présence d’un faible dépôt noir insoluble, dans lequel il était possible de distinguer l’or produit ; le dépôt a été attribué à du charbon, du fer et à d’autres Impuretés. Selon moi, ce dépôt devait contenir de l’or. Cette expérience n’a pas été poussée plus loin. Le reste de chaque alliage a été traité séparément par le môme acide ; celui dans- lequel il entrait un peu de fer qui ne s’est pas allié, a formé un dépôt qui a empêché de recon- naître si réellement il y a eu production d’or ; l’autre alliage a donné un faible dépôt d’or. Selon l’expression de M- Levol, ce sont des millionièmes de milligrammes. M. Levol prétend que cet or provient de l’argent qui n’était pas pur ; moi je pense qu’il a été produit dans la réaction.

séance commencée à deux heures, terminée à quatre heures. Trois échantillons d’argent, dont un fourni par M. Levol et deux fournis par moi, ont servi à ces expériences ; j’ai réduit en limaille quatre à cinq décigrammes de chaque alliage, qui a été partagé en deux parties à peu près égales. Une partie seule- ment de chacune des limailles a été passée à l’aimant, puis elles ont été introduites dans des tubes séparés et étiquetés ; j’ai versé par-dessus la limaille de l’acide ni- trique pur à 40 degés ; l’acide a été porté à l’ébullition.

LA TRANSMUTATION DES METAUX

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afin d’activer la réaction et d’abréger la durée de l’opé- ration. Comme dans la première séance, la formation d’un dépôt noir dans tous les tubes a été constatée* Afin de rendre sensible la présence des atomes d’or arti- ficiel produit dans ces réactions, j’ai décanté la partie limpide ; l’acide se trouvant trop concentré, la décanta- tion a été difficile à cause de la formation des cristaux de nitrate d’argent ; elle a été défectueuse surtout sur les tubes étroits ; puis, j’ai versé de l’acide sulfurique pur dans les tubes sur le dépôt noir qui s’est dissout en- tièrement. Les tubes devaient être placés dans un bain de sable et portés à une température de 300 et quelques degrés ; à défaut de bain de sable, les tubes ont été mis dans un creuset rempli de sable et placé près de l’ou- verture du fourneau à coupelles; les tubes sont restés jusqu’au lendemain à 10 heures; le feu n’ayant pas été en- tretenu, la température n’a fait que décroître. Les tubes visités n’ont donné aucune trace d’or. Je reconnus du pre- mier coup d’œil que la température n’avait pas été assez élevée, que, par conséquent, l’or ne pouvait pas être dé- posé, puisqu’il était maintenu en dissolution par l’acide nitrique existant dans la liqueur. Je pris les deux grands tubes contenant la même limaille d’argent ; l’acide fut porté à l’ébullition ; il s’est dégagé immédiatement des

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vapeurs nitreuses. Après une ébullition prolongée pen- dant près de deux heures, il s’est déposé de l’or dans l’un des tubes, l’autre n’en n’a pas fourni de traces ; l’é- bullition dans ce dernier tube, n’avait pas été aussi régu- lière que dans l’autre. Il y a eu des soubresauts et des projections d’acide, hors du tube; i peut se faire que l’or précipité ait, été entraîné avec l’acide qui s’est échappé au dehors.

Ainsi, que je l’ai fait observer dans mes Mémoires, les résultats de mes expériences ne sont pas toujours identi- ques, tout en opérant avec les mêmes matières et sous l’influence de circonstances identiques.

Avant de quitter la Monnaie, j’avais commencé une troisième expérience sur le dépôt qui s’est formé dans la liqueur contenant les décantations des six tubes. Ce dé- pôt a été traité comme dans les autres tubes par l’acide sulfurique porté immédiatement à l’ébullition et maintenu en ébullition pendant plusieurs heures. Le lendemain, à mon arrivée à la Monnaie, on me dit que le tube était cassé; l’acide coulait effectivement sur les parois exté- rieures du tube ; mais après un examen attentif, je recon- nus que le tube n’était réellement pas cassé, et que l’acide ne pouvait provenir que des soubresauts qui l’a- vaient projeté en dehors. Je constatai dans le tube de

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX 10 J

faibles atomes d’or à peine visibles â la vue simple ; mais rien ne prouve que, cette fois encore, la majeure partie de l’or n’ait,pas été projetée hors du tube.

M. Levol me dit alors : Vous voyez qu’il n’y a réelle- ment pas d’or produit en quantité appréciable. Je recon- nais, lui dis-je, que l’or déposé n’est pas en aussi grande quantité qu’il devait l’être, ce que j’attribue à la manière dont les tubes ont été chauffés. Je demandai alofs à M. Levol de chauffer au bain de sable les quatre tubes qui restaient, afin d’opérer dans les mêmes circonstances que celles j’opère à Grenelle. M. Levol me répondit : Nous en avons assez, nous savons à quoi nous en tenir ; quand vous aurez des procédés plus sûrs, et que vous produirez des quantités d’or appréciables, venez me trouver. Mais si j’en étais là, je n’aurais plus besoin d’en- couragement. Ce que je sollicite, ce sont précisément les moyens de pouvoir continuer mes expériences et per- fectionner madécouverte. Je ferai observer seulement ici que, quand on opère sur deux décigrammes de matière, il est très difficile d’avoir des quantités d’or appréciables ; ce que je tenais à constater, c’est qu’avec de l’argent chimiquement pur, je pouvais produire de l’or. C’est pour cela que j’insistais si vivement auprès de M. Levol, pour avoir de l’argent exempt de toute trace d’or.

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l’or

En résùmé, il me semble qu’il a été constaté : ^

Que certaines parties de limaille d’argent restent inattaquées dans l’acide nitrique, qu’elles ne se dissolvent qu’après un certain temps d’ébullition.

Qu’il se forme constamment un dépôt noir, plus ou moins abondant.

Que ce dépôt noir est entièrement soluble dans le mélange des deux acides nitrique et sulfurique.

Que le mélange de ces deux acides dissout l’or, ainsi qu’une expérience faite sur un morceau d’or pur l’a constaté ; selon moi il y a dissolution de l’or, et non dé- sagrégation du métal.

Que l’or ne se dépose qu’après une ébullition pro- longée et un dégagement abondant de vapetirs nitreu- ses.

Enfin, que l’or se dépose en pellicules excessive- ment minces, avec l’éclat de l’or métallique le plus pur.

Quant au fait capital, ce n’est point à moi à me pro- noncer : Je crois devoir m’abstenir.

M. Levol m’ayant dit qu’il n’y avait pas lieu à faire un rapport sur ces expériences, j’ai pris le parti de les rap- peler ici, afin d’éclairer à cet égard le jugement des per- sonnes au courant de mes travaux et de celles auxquel-

LA TRANSMUTATION DES METAUX I05

les j’avais annoncé ces expériences. Ce que je regrette infiniment, c’est que M. Levol n’ait pas eu assez de de temps disponible pour continuer et répéter ces ex- périences qui, après tout, ont été très onéreuses pour moi par la perte de mon temps et par mon déplacement, puis- que je n’ai pour moyen d’existence que le produit de mon travail. Cependant, je n’ai point hésité un instant sur es sacrifices qu’allaient m’imposer ces expériences. Ce fut un grand désappointement pour moi de voir qu’on ne voulait ni les continuer ni me permettre de terminer celles qui étaient commencées ; je croyais rencontrer aide et protection, je n’ai eu que la plus amère des dé- ceptions ; on m’a opposé la plus cruelle fin de non recevoir.

On commence par trouver qu’il est difficile, sinon im- possible, de préparer de l’argent chimiquement pur ; ce qui est bien autrement impossible pour les autres mé- taux, cuivre, fer, zinc, etc. La raison en est toute simple ; on emploie, pour les obtenir purs, les réactifs qui agis- sent sur eux en modifiant leur état moléculaire, dans un rapport plus ou moins restreint, suivant des circonstan- ces inappréciables jusqu’à présent, et qui constituent le hasard des opérations ; ces parties ainsi modifiées sont aptes à passer à un état supérieur d’inaltérabilité en pré-

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sence des agents oxydants. Il en sera de même pour tous les métaux, si l’on cherche à les avoir à un état de pureté parfait. C’est une étude à faire que de chercher les causes qui modifient ainsi les propriétés des corps, afin d’empêcher ces altérations moléculaires de se pro- duire, et d’obtenir des métaux chimiquement purs ; au- trement, il ne sera jamais possible d’y arriver. C’est, ce me semble, pendant le passage d’un corps par ces divers états d’oxydes, que certaines parties de ces métaux se modifient entièrement (surtout en présence de la lumiè- re solaire), mais en des quantités si faibles qu’elles ne sont pas encore appéciables à nos moyens d’investiga- tions. C’est à nous à nous tenir sur nos gardes, afin de saisir la cause de ces variations pour les continuer ou les arrêter à notre gré. Ce point obtenu, la trans- mutation des métaux deviendra un art des plus impor- tants.

Selon notre manière d’envisager les métaux, ils doi- vent être formés seulement d’hydrogène, combiné de diverses manières et en diverses proportions avec l’oxy- gène ; ces combinaisons formeront tous les métaux qui existent et qui peuvent exister, lesquels seront plus ou moins altérables ou oxydables selon qu’ils renfermeront une plus grande quantité d’hydrogène, et d’autant moins

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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altérables qu’il renfermeront une plus grande quantité d’oxygène. Ainsi, d’après ces données sur cette classe de corps, il suffira pour rendre un métal parfait de lui faire absorber, dans certaines conditions, de l’oxygène ou de- lui enlever de l’hydrogène, cl vice versa; pour le rendre moins parfait, il ne faudra que lui enlever de l’oxygène, ou lui faire absorber de l’hydrogène.

Le métal pur primitif serait donc l’hydrogène inaltéra- ble dans ses propriétés; nous ne le connaissons qu’à l’état gazeux; nous n’avons encore pu le solidifier, ce qui nous aurait sans doute éclairé sur sa nature. L’eau serait donc un oxyde métallique liquide particulier, différent des autres qui sont solides, de même que nous avons un mé- tal liquide, le mercure, tandis que tous les autres sont plus ou moins solides ; il ne peut rien y avoir d’étrange dans cette manière de voir, qu’on pourrait, après tout, appuyer de bien d’autres faits plus concluants que ne le sont les deux états d’être de ces corps à la température ordinaire.

Les travaux du célèbre Van Mons à ce sujet, publiés à Louvain, en 182^, montrent que des hommes de science ont déjà envisagé la question des métaux sous le même point de vue.

Les métaux qui doivent renfermer le plus d’hydrogène

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seront l’ammonium, le potassium, le sodium, etc. ; et ceux de la même série qui doivent en renfermer le moins par rapport à l’oxygène seront le platine, l’or, l’argent, etc. C’est ce qui est indiqué en quelque sorte, par leur densité, leur peu d’affinité pour l’oxygène, leur altérabi- lité en présence des oxydes alcalins des premiers métaux qui, au contraire, ont une faible densité et une grande avidité pour l’oxygène.

Je reconnais toute l’insuffisance des faits pour établir convenablement cette théorie des métaux, puisque je ne suis point encore parvenu à extraire l’oxygène d’un métal quelconque, de l’or par exemple, ce qui l’aurait ramené à l’état d’argent ou d’un autre métal. Malheureusement les appareils me manquent pour tenter des expériences dans ce but ; il n’est peut-être pas donné à la science d’y arriver ; mais, au moins, j’aurais voulu avoir la satisfaction d’avoir, par des essais suffisamrhent concluants, ouvert la voie à des recherches nouvelles d’une incalculable por- tée.

Qu’on me permette d’ajouter ici quelques mots sur les conséquences probables de cette découverte sous le rap- port de nos intérêts, et de la suppression de notre mon- naie d’or et d’argent.

Les métaux étant reconnus des corps composés, déri-

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vant les uns des autres, la production de l’or artificiel constatée, notre monnaie or et argent ne peut plus se maintenir ; tôt ou tard, il faudra qu’elle disparaisse de nos relations commerciales, pour devenir une marchan- dise, comme tous les autres produits de l’industrie hu- maine.

Il y a d’ailleurs des raisons très-plausibles de croire qu’il doit en être ainsi dans un avenir très prochain ; pour le moment, la suppression de l’or comme monnaie semble imminente; dans l’état actuel des choses c’est ce qu’on peut prévoir rien que par l’abondante production des mines d’or de la Californie et de l’Australie seule- ment, qui continuent de verser l’or outre mesure dans la circulation.

La production de l’argent n’est plus en rapport ni avec celle de l’or, ni avec les frais d’extraction, qui res- tent à peu près toujours les mêmes, pour les mines d’ar- gent, parce que les filons argentifères sont d’une pro- duction plus uniforme que les filons aurifères, qui ne peuvent être guère suivis avec succès, l’or ne se trouvant que de place en place disséminé dans le sol, à peu de profondeur au-dessous de la surface de la terre. C’est ce qui a lieu dans les mines et surtout dans les placers, esquelles fournissent la plus grande partie de notre or.

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ce qui met l’extraction de ce métal à la portée de toutes les bourses, en un mot, de tout homme travailleur ; de plus ce métal se rencontre à l’état natif, il est vendu tel qu’on l’extrait du sein de la terre.

Pour l’extraction de l’argent, au contraire, les condi- tions sont très-différentes. Ces mines ne sont la plupart du temps productives qu’à des profoncteurs de loo à 200 mètres ; plusieurs sont exploitées à plus de 500 mètres de profondeur; l’épuisement de l’eau exige l’emploi de machines puissantes ; de plus, ce métal n’est pas pur, il faut le purifier, ce qui exige encore une main-d’œuvre longue et coûteuse. Une grande avance de capitaux est, comme on le voit, nécessaire pour exploiter les mines d’argent, ce qui restreint considérablement l’extraction de ce métal très-répandu, d’ailleurs, mais peu exploité. On serait vraiment étonné du nombre de mines d’argent déclarées seulement au Mexique dans un intervalle de 50 ans; j’en pourrais citer 50,000 sur lesquelles un tout petit nombre seulement est exploité. Ces faits expliquent comment la production des deux métaux précieux ne peut conserver un rapport à peu près constant, en présence de l’exploitation des nouveaux gisements d’or découverts depuis peu sur plusieurs points du monde, et l’on en découvrira probablement bien d’autres. Dans

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX I I !

quelque lieu qu’ils se rencontrent, aussitôt qu’ils seront connus ils seront exploités, et leur exploitation pourra prendre en peu de temps une extension considérable. Aussi depuis longtemps la valeur respective des deux métaux précieux n’est-elle plus dans le rapport qui leur fut attribué dans le principe. On comprend combien l’ex- traction de l’or doit finir par porter préjudice à la mon- naie d’or qui conserve toujours la même valeur, sans égard au prix de revient. C’est, il est vrai, le moyen de gtimuler l’extraction de ce métal ; c’est une forte prime que tous les gouvernements lui accordent ; mais cet état de choses n’est p*as stable, il peut et doit varier d’un moment à l’autre. Voyons cela peut conduire quant à nos intérêts personnels ; dès à présent, ne voyons-nous pas chaque jour s’accroître l’abondance de l’or sur nos marchés, au détriment de l’argent qui disparaît de nos relations commerciales ?

Supposons que les États voisins de la France viennent tout à coup à supprimer l'or comme monnaie de leurs relations commerciales, et à ne plus l'admettre que comme marchandise ayant un cours variable ; c’esi ce qu’a déjà fait la prévoyante Hollande ; on devra s’atten- dre dans ce cas à une baisse considérable de ce métal qui, n’ayant que peu de consommation dans l’industrie.

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n’aurait qu’un débouché fort restreint. Qu’on Juge de la perturbation jetée dans la circonstance monétaire chez les nations qui posséderaient le plus d’or, et qui n’au- raient pas pris l’initiative de la suppression de la monnaie d’or.

Il suffit, ce me semble, d’appeler l’attention des hom- mes compétents de mon pays sur ce sujet, pour qu’ils songent aux mesures les plus convenables à prendre dans l’intérêt de la nation.

En supposant qu’on retire l’or de la circulation moné- taire, ce qui ne peut tarder longtemps, on n’aura encore fait autre chose que diminuer le mal, mais il subsistera toujours tant qu’on ne supprimera pas entièrement l’emploi des deux métaux précieux comme représentation moné- taire des valeurs.

De ce qu'on est parvenu à produire de l’or artificielle- ment, on doit s’attendre également à ce que d’un jour à l’autre, on produira de l'argent, et cela d’une manière avantageuse, il n’y a pas à en douter. Aussitôt que ces découvertes seront reconnues et publiées, l’extraction des métaux précieux est trop coûteuse, pour qu’elle ne soit pas promptement délaissée et abandonnée pour être remplacée par l’industrie nouvelle de la transmuta- tion des métaux communs en métaux précieux, ce qui

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX I I J

permettra de faire passer le cuivre à l’état d’argent et d’or.

Il ne faudra pas longtemps pour que cette industrie devienne florissante, du moment les hommes actifs et éclairés auront le courage de s’y mettre, sans être arrê- tés par la crainte d’être traités d’alchimistes et d’insen- sés. Alors cet art commencera réellement à progresser; l’appât du gain qu’offrira longtemps cette industrie fera que de toutes parts on se mettra à l’œuvre. Il ne sera plus nécessaire de s’expatrier pour se procurer ces mé- taux ; mais chez soi, au sein de sa famille, on pourra se livrer à ces travaux qui deviendront une source de bien- être pour l’humanité ; il ne sera plus nécessaire de se rui- ner le tempérament pour extraire du sein de la terre ces métaux si rares comparativement à d’autres qu’on trouve partout en abondance ; il n'y a, comme on dit, qu’à se baisser pour en prendre.

La suppression de l’argent, comme monnaie, ne peut manquer de suivre celle de l’or, sans compter ici sur la transmutation des métaux, regardée encore par le public comme une illusion ; mais les progrès incessants que fait chaque jour la chimie, apprennent à purifier, à obtenir à l’état libre des métaux précieux parleurs propriétés, qui pourront être obtenus à des prix inférieurs à ceux des

métaux 'précieux proprement dits. Ces nouveaux métaux pourront être alliés avantageusement à l’argent ; il sera très difficile de reconnaître la fraude, le faussaire ne se- rait, après tout, pas le seul coupable. Il vaudra mieux, je pense, supprimer en temps utile la monnaie d’argent, et ne garder comme menue monnaie, pour faciliter les échan- ges, qu’un alliage plus convenable que celui de billon. Les deux autres métaux, argent et or, seraient remplacés par du papier-monnaie que j’appellerai papier hypothé- caire, parce qu’il devra représenter une propriété comme le billet de banque représente un lingot d’or ou d’argent.

Je termine ici cet exposé ; il suffira, je pense, pour le moment, pour faire comprendre la gravité de la question de la production artificielle des métaux précieux.

On le voit, je parle ici contre mes propres intérêts ; car la suppression de l’or, comme monnaie, enlèvera beaucoup de prestige et de valeur à ma découverte ; l’in- térêt général, ce me semble, doit passer avant l’intérêt personnel ; je n’ai pour but que de faire profiter de mes travaux mon pays et la science.

SIXIÈME MÉMOIRE.

Présenté à l’Académie des Sciences le décembre 1854.

SUR LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX.

L’expérience suivante doit servir de base à la réalité de la découverte de la production artificielle de l’or. Fai- tes dissoudre dans l’acide nitrique pur une pièce nouvelle de cinq francs, quoique cette pièce soit sensée ne pas con- tenir d’or. Elle en contient toujours des traces ; vous en trouverez plus qu’elle n’en contenait réellement. C’est que l’or produit dans cette réaction s’ajoute à l’or exis- tant précédemment dans la pièce ; dans cette opération, l’or se dépose en petits flocons bruns rougeâtres qui na- gent dans la liqueur ; étendez celle-ci d’eau distillée, puis filtrez cette même dissolution plusieurs fois de suite, afin d’en tirer tout l’or, précipitez-en l’argent par du cuF vre pur, réduit de son chlorure par l’hydrogène ou par le sel marin purifié ; dans ce cas, lavez le chlorure à l’eau pure, puis à l’eau de chlore ; réduisez ensuite le chloru-

l’or

1 16

re par la craie et le charbon, ou bien encore par le gaz hydrogène ; fondez cet argent et convertissez-le en gre- naille, en le dissolvant dans l’acide nitrique pur, vous aurez un dépôt d’or, quel que soit le moyen que vous avez employé. Filtrez de nouveau cette dissolution après l’avoir étendue d’eau distillée, vous en séparez l’or pro- duit ; continuez cette opération comme il a été dit plus haut, vous aurez encore de l’or; répétez-la, même plusieurs fois de suite, vous aurez toujours de l’or en quantités d’au- tant plus appréciables que vous opérez sur de plusgrande quantités de matière.

On m’objectera que l'or est fourni par le cuivre ou le sel marin, ou la craie et le charbon, ou l’eau dans laquelle on grenaille l’argent. Mais alors qu’on veuille bien m’indi- quer un moyen d’obtenir de l’argent chimiquement pur. Si vous ne pouvez pas obtenir ce métal exempt de toute trace d’or, avouez donc si vous ne voulez pas affirmer franchement qu’il est possible qu’il se produise de l’or, dans ces réactions ; mais ne niez pas la possibilité du fait ce serait faire tort à vos connaissances.il est vrai que dans les expériences ci-dessus on obtient des quantités d’or minimes qui ne sont pas toujours en proportion avec la quantité d’argent employé; j’espère avant peu en four- nir l’explication.

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX UJ

Une analyse qui doit intéresser la science au point de vue de la transmutation des métaux, est celle qui a été faite par M. le duc Maximilien de Leuchtemberg (Mil- lon et Reiset, Annuaire de chimie, 1848, page 81) sur le précipité noir qui se forme quand on décompose le nitrate de cuivre par l’électricité voltaïque, et qu’on se sert du cuivre du commerce pour former les deux pôles. Il se produit peu à peu au pôle positif, une poudre noire long- temps regardée comme de l’oxyde de cuivre impur ; cette poudre a donné à l’analyse les métaux suivants :

Antimoine. .

9,22

Fer

0,30

Étain

U, 50

Nickel

2,26

Arsenic. . . .

7,40

Cobalt

0,86

Platine. . . .

0.44

Vanadium

0,64

Or

0,08

Soufre

7 7/î

Argent . . .-.

4,54

Sélénium. . . .

1,27

Plomb

15,00

Oxygène. . . .

24,84

Cuivre

9,24

Sable

1,90

Il serait utile de répéter cette expérience en em- ployant du cuivre aussi pur que possible; ce métal se- rait dissous dans l’acide nitrique pur, puis le nitrate de cuivre serait soumis à l’action de la pile; le précipité qui se formerait étant soigneusement analysé, on verrait

ii8

L OR

si réellement on n’y trouve que de l’oxyde de cuivre ; si- non il faudrait recommencer de nouveau l’expérience sur ce même cuivre ainsi purifié une seconde fois, for- mer de nouveau du nitrate de cuivre, puis le soumettre à l’action de la pile. S’il en résulte toujours de nouveaux métaux en proportion à peu près constante, il faudr^ bien admettre la formation de ces métaux pendant l’opé- ration. On devra 'également par comparaison traiter une égale quantité du même cuivre par l’acide sulfurique pur, et examiner si les produits obtenus sont les mêmes, etc. Aussitôt que le temps me le permettra, je compte répé- ter cette expérience, car l’électricité, j'en ai la conviction, joue un puissant rôle dans ces métamorphoses.

De la transmutation des métaux au point de vue de la Géologie.

Les métaux, dans le sein de la terre, ne se trouvent jamais seuls; ils sont toujours associés plusieurs ensem- ble et forment, pour ainsi dire, des familles dont les in- dividus ont d’autant plus de ressemblance, d’analogie, de propriétés physiques et chimiques communes, qu’ils seront plus proches parents. C’est, en effet, ce qui doit

LA TRANSMUTATION DES METAUX II9

être si, comme je le prétends, les métaux se forment et passent d’un état inférieur à un état supérieur d’inaltéra- bilité. De même ils ne peuvent pas exister seuls ; par exemple, le potassium et le sodium, qui ont une grande analogie de propriétés, ne se rencontrent-ils pas toujours ensemble en des proportions très diverses ? Ils s’allient en toute proportion ; ils se substituent l’un à l’autre dans les composés; le sodium ne doit être qu'un dérivé du potassium. Le nickel et le cobalt, par exemple, doivent aussi être très-proches parents.

Le fer, le cuivre, l’argent et l’or, voilà des métaux qui, selon moi, dérivent les uns des autres ; ces métaux ont été l’objet principal de mes recherches; je ne les ai point choisis au hasard, mais bien suivant leur ordre de conductibilité pour la chaleur, ainsi qu’ils sont classés par M. Despretz. Cet ordre correspond également avec celui de leur dureté ; le fer est plus dur que le cuivre, le cuivre plus que l’argent, l’argent plus que l’or, l’or plus que le platine.

Le platine devrait donc faire suite à l’or : c’est ce que plus tard nous apprendra l’expérience ; il s’en faut de beaucoup que leur densité soit dans le même rapport, ce qui supposerait un mode d’agrégation moléculaire diffé- rènt pour chacun de ces métaux. Nous ne pouvons pas

9

120

l’or

affirmer que les densités des métaux, tels qu’on les a ob- tenus, soient dans un même rapport. Je pense que pour avoir le véritable rapport de densité qui existe réelle- ment entre les différents métaux, il faudrait pouvoir les obtenir tous au même degré de pureté, dans les mêmes conditions d’électricité et de chaleur. Par exemple, les obtenir tous cristallisés par un faible courant voltaïque, dans des liqueurs- également concentrées et à la même température. On prendrait alors leur densité telle qu’elle serait dans les métaux ainsi obtenus ; l’écrouissage et le martelage qu’on fait subir aux métaux altèrent plus ou moins leur état moléculaire. Ainsi l’or cristallisé qu’on trouve à l’état natif possède une densité bien moins faible que l’or fondu. Je pense que si tous les métaux que nous connaissons étaient tous obteuus au même degré de pu- reté, il serait facile, a priori, de les classer suivant leur ordre de génération, en se fondant principalement sur leurs propriétés physiques.

M. Dufrénoy {Minéralogie de Dufrénoy, t. III, p. 199) dit en parlant de l’or natif; « Les cristaux sont nombreux et variés. Ils dérivent tous du cube. Les plus abondants sont des octaèdres et des dodécaèdres. Ils sont rarement isolés ; quelquefois ces cristaux sont grou- pés sous forme de rameaux, comme je l’ai indiqué pour

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

121

le cuivre et l'argent. Leurs faces sont presque toujours ternes, elles sont en général arrondies, même pour les échantillons extraits de filons et qui, par conséquent, n’ont subi aucun frottement. Cette disposition lui est commune avec plusieurs métaux natifs et les arêtes des cristaux sont arrondies comme celles de l’argent natif. » Ces observations viennent encore à l'appui de ma ma- nière d’envisager les changements moléculaires que su- bissent les métaux dans leurs différentes métamor- phoses.

On sait, dans la pratique, que l’on rencontre des mines d’or, les mines d’argent ne sont pas loin, et que l’or renferme toujours de l’argent ou du cuivre . c’est que, dans la nature, les transformations ne s’effec- tuent jamais complètement ; il reste toujours des atomes du dernier métal, qui sert sans doute de ferment ou qui agit par sa présence en facilitant le passage du métal nouveau à un autre état supérieur d’inaltérabilité. Mais l’inverse ne doit pas toujours avoir lieu ; l’on ren- contre de l’argent, il peut bien se faire que cet argent ne contienne pas d’or ; l’or dérivant de l’argent, cette trans- mutation peut fort bien n’être pas encore commencée, en vertu de circonstances qu’on n’est point encore à même d’apprécier. C’est, en effet, ce que la pratique nous ap- /

122

l'or

prend. L’argent qui contient le plus d’or dans les mines est toujours le plus près de la surface de la terre ; à me- sure que ces mines deviennent déplus en plus profondes, elles fournissent des quantités d'or de moins en moins appréciables, et finis«ent même par ne plus en contenir du tout.

L’or ne se trouve, comme je l’ai dit dans mon der- nier Mémoire, qu’à peu de profondeur dans le sein de la terre ; il n’y a que de rares exceptions ; l'on a rencontré de l’or à de grandes profondeurs, ce ne sont que de ces cas fortuits qui ne doivent provenir que de causes accidentelles.

De ce que l’orne se trouve qu’à peu deprofondeurau- dessous de la surface de la terre, il faut donc en conclu- re que les agents extérieurs de l’atmosphère sont indis- pensables à la transformation de l’argent en or. L’eau, ce puissant dissolvant de la nature, est-elle ce minérali- sateur que j’appellerai par excellence, qui porterait dans son sein les éléments de la transmutation des métaux, laquelle se renouvelant sans cesse, porterait conti- nuellement la nourriture propre à tous les individus de cette grande famille, les éléments de l’air atmosphérique aux différents métaux qu’elle rencontre sur son passage conjointement avec les différents sels qu’elle dissout ?

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX 12)

En s’infiltrant dans les roches, l’eau permettrait à ces corps diversement associés entre eux, combinés de di- verses manières avec les métalloïdes, en présence de courants voltaïques ou magnétiques et sous l’influence des masses, de déterminer la transmutation des métaux les uns dans les autres, et donnerait lieu dans ces mêmes circonstances à la transformation de l’argent en or.

Lors de mon passage à Saint-Ignacio, près Culiacan, j’examinais une nouvelle mine de sulfure d’argent qu’on venait de découvrir, certaines parties de sulfure d’ar- gent étaient rougeâtres et désagrégées avec l’apparence delà rouille. Les mineurs mexicains appellent cette subs- tence particulière quija de oro. Près de Cozala, la mine d’argent de M. Gonzalez contient beaucoup d’or elle est peu profonde, elle se trouve dans le voisinage des sources sulfureuses.

Le soufre et l’air comme la plupart des métalloïdes, doivent certainement influer puissamment sur ces méta- morphoses. L’or est donc produit par l’oxydation des dif- férents sels d’argent au contact de l’air atmosphérique dissous dans l’eau, conjointement avec les différents sels qu’elle dissout, en présence de courants électriques dé- veloppés, sans doute, par l’action de ces sels les uns sur les autres.

124

l'or

Klaproth, sous le nom d'éleclrum a désigné un alliage natif d’or et d’argent {Minéralogie de Dufrénoy, t. III, p. 202). « On voit, dit Dufrénoy, des lamelles qui repré- sentent la couleur jaune de l’or, tandis que d’autres sont d’un blanc jaunâtre ; en sorte qu’en choisissant les par- ties différentes par la couleur, on obtiendrait des com- positions très-variées. » N’est-ce pas encore un de ces faits que la nature nous montre comme exemple de la transformation de l’argent en or ? Comment concevoir et expliquer la formation de ces alliages si variés de ces deux métaux dans un même minerai, si ce n’est par le passage de l’argent à l’état d’or parce que certaines la- melles ont été plus proches du courant générateur que j’appelle courant électrique, qui a favorisé dans certai- nes lames le passage d’une plus grande quantité d’argent à l’état d’or, tandis que les autres, étant plus éloignées ou ne recevant qu’une plus faible portion du courant, ont produit dans le même temps des quantités d’or de plus en plus faibles.

M. Dufrénoy dit encore, même page: «Les nom- breuses analyses qui ont été faites des minerais d’or de l’Amérique méridionale par M. Boussingault, et des mi- nerais de la Russie par M. Gustave Rose, montrent que l’argent et l’or se remplacent en toute proportion, même

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

125

dans les cristaux : » et il ajoute : « Ce résultat est natu- rel et devait se prévoir, ces deux métaux étant isomor- phes. »

D’après les analyses mentionnées ci-dessus, M. Du- frénoy fait observer « que les proportions d'argent sont très variables, la moyenne est environ 8 pour , 100 pour les minerais de Sibérie, 'elle s’élève à 14 pour 100 pour ceux d’Amérique méridionale, ce qui établit une différence remarquable entre les minerais d’or de l’an- cien et du nouveau monde, bien que les gisements soient absolument dans les mêmes conditions. »

Si c’est effectivement l'air, ainsi que je l’ai énoncé plus haut, qui produit la transformation de l’argent en or, il serait donc permis d’admettre, sous ce point de vue que le nouveau monde a paru au-dessus des eaux bien plus tard que les nôtre : en supposant que le passage de l’argent à l’état d’or s’effectue graduellement aussi vite dans l’ancien comme dans le nouveau monde, on peut assigner ces parties de continents l’époque respec- tive de leur soulèvement ; c'est ce que plus tard les géologues pourront déterminer et vérifier, si ces données sont en rapport avec l’état chronologique des soulève- ments partiels du monde.

LES MÊTAÜX SONT DES CORPS COMPOSÉS

DEUXIÈME PARTIE PREMIER MÉMOIRE

La seconde partie de mes travaux a pour but la re- cherche des causes qui régissent les métamorphoses des corps métalliques les uns dans les autres ; comme on le voit, le problème à résoudre est des plus ardus. Malgré les résultats auxquels je suis arrivé dès à présent, je n’ai point la prétention de le résoudre complètement ; j’aspi- re seulement à découvrir quelques-unes des causes qui influent le plus puissamment sur ces différents corps, et qui les portent à modifier leur état moléculaire en pas- sant d’un état inférieur à un état supérieur d’inaltérabili- té. Si je parviens à faire faire un pas de plus à cette par- tie de la science métallurgique des transmutations, je me trouverai suffisamment récompensé.

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

127

On trouvera peut-être que c’est de ma part une gran- de témérité de vouloir persévérer à poursuivre ces re- cherches, quand trop d’éléments me manquent à la fois , temps, appareils et livres que je n’ai pas le loisir d’aller consulter dans les bibliothèques. Je m’expose à répéter des expériences qui ont pu déjà être faites ; dans ce cas elles auraient pu me servir et me guider dans les expériences que je poursuis sous un point de vue différent. C’est une entrave de plus à mes recherches ; malgré cela, je n’en continuerai pas moins mes travaux^ parce que je suis fermement et profondément convaincu. J’ai fait de l’or, j’en fais encore tous les jours, en quantité^ très limitée, il est vrai, par des moyens dispendieux, mais je touche peut-être au moment de livrer au monde savant un procédé vraiment industriel pour faire de l’or, un procédé rentrant dans les conditions de la grande in- dustrie, comme on fait du verre ou du bronze, comme M. Deville va faire un de ces jours de , l’alumi- nium.

Je n’ai point à entretenir mes lecteurs de ma position personnelle ; je me bornerai simplement à exposer mes expériences et les résultats auxquels je suis arrivé, en exprimant tous mes regrets que ces expériences ne soient pas aussi complètes qu’elles devraient l’être, comme elles-

128

l’or

le seraient si j’avais pu employer des appareils plus con- venables à ces sortes de recherches.

La lumière solaire, cet agent complexe, me semble être, comme je l’ai déjà dit, un des éléments importants dans l’œuvre des métamorphoses des corps ; il doit agir sur la matière par son action plus ou moins prolongée, en lui communiquant de nouvelles propriétés électri- ques et chimiques en vertu desquelles les molécules maté- rielles peuvent s’associer de différentes manières, en différentes proportions, suivant des arrangements molé- culaires particuliers pour chacun des corps.

La lumière solaire doit aussi agir continuellement sur les molécules atmosphériques en les fécondant, c’est-à- dire en les rendant propres à servir à la perfectibilité de tous les êtres vivants et inanimés. La lumière solaire n’influe-t-elle pas puissamment sur tous les êtres végé- taux et animaux, qu’elle semble en quelque sorte vivifier ? De même, il me semble qu’elle doit agir sans interrup- tion dans l’acte des métamorphoses des corps métalli- ques, c’est ce qui m’a déterminé à entreprendre mes ex- périences de transmutation sous son influence, je pense qu’en outre elle facilite et active considérablement cer- taines réactions chimiques.

Dans cette seconde partie de mes expériences, je fais

LA TRANSMUTATION DES METAUX

129

intervenir la lumière solaire dans le but de tâcher de dé- terminer son action dans l’acte des transmutations, d’une part en les comparant aux expériences faites à l’abri de l’influence de la lumière, de l’autre en comparant ses effets à ceux de l’étincelle électrique, du courant voltaï- que et magnétique dans ces mêmes expériences.

Voici le résumé des questions que traitera cette se- conde partie ;

1“ Quelle est l’action prolongée de la lumière solaire sur les gaz confinés secs et humides, soit isolés, soit mélangés ou combinés entre eux ?

2“ Quelle est l’influence prolongée de l’étincelle élec- trique du courant voltaïque et magnétique sur ces mêmes gaz seuls et en présence de la mousse de platine?

3“ Quelle est l’action prolongée de la lumière solaire sur les gaz confinés secs et humides, en présence des métaux seuls et alliés entre eux ? Répéter ces mêmes ex- périences à l’abri de la lumière solaire.

4“ Quelle est l’action prolongée du courant voltaïque et magnétique dans ces mêmes expériences, en plaçant les métaux dans le circuit voltaïque ?

5“ Soumettre à ces mêmes expériences les minerais tels qu’ils se rencontrent dans les mines.

Vérifier l’influence de la température, qui certaine-

l’or

150

ment doit exercer des actions très diverses sur la marche et les résultats de ces différentes expériences. Il faudrait des appareils convenables pour qu’on puisse produire dans ces essais de transmutation des températures pou- vant être élevées graduellement en les maintenant à un degré constant pendant toute la durée de l’expérience. C’est par ces opérations de tâtonnement qu’on parvien- dra à saisir les températures convenables pour arriver avec ^ certitude aux résultats qu'on veut obtenir ; hors là, jamais on ne possédera une voie sûre pour procéder avec sécurité.

Le calorique est une force incalculable qui agit à l’in- fini sur la matière et qui modifie à chaque instant son état. Cette force agit dans la plupart des cas comme le ferait la lumière solaire ; aussi je pense qu’on peut rem- placer l’une par l’autre en l’appliquant convenablement.

Le calorique et l’électricité sont deux agents impon- dérables de forces incalculables qui agissent continuelle- ment dans l’œuvre des métamorphoses des corps ; c’est par l’application de ces forces aux métaux, en présence des composés oxygénés de l’azote, que se résoudront les problèmes de la transmutation des corps métalliques les uns dans les autres.

Mes moyens ne permettant pas d’entreprendre à

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX I } 1

la fois toutes ces expériences, je m’attacherai principale- ment à celles qui ont été la base de mes premiers tra- vaux.

La plupart des expériences que j’entreprends, pour avoir plus de portée, devraient être prolongées plus long- temps et être faites avec tous les soins possibles ; l’insuf- fisance du temps conduit souvent à des résultats négatifs qui auraient pu devenir, par la suite, positi s. Aussi ne me rebuterai-je point de ces premiers essais, quand même ils ne seraient pas couronnés du succès que j’en attends.

Voici quelques-unes des expériences que j’ai entrepri- ses à la température ordinaire ; elles ont été prolongées pendant plus d’une année.

ri® expérience. J’ai suspendu dans un flacon d’un litre rempli d’oxygène humide, un morceau d'argent fin à mille millièmes, à l’aide d’un fil de platine que j’ai fixé avec un peu de gomme laque à la partie inférieure du bouchon à l’émeri ; l’appareil fermé est resté exposé à la lumière solaire ; au bout de six semaines, la grônaille d’argent avait pris dans certaines parties une teinte légè- rement jaunâtre. Ces parties ont continué, avec le temps à prendre une teinte de plus en plus foncée ; au bout de six mois, elles avaient acquis une teinte rouge-jaunâtre

l'or

132

comme l’oxyde de fer ; pendant les six derniers mois de la durée de l’expérience, la couleur de l’oxyde n’a plus changé. L’oxydation ne s’est pas propagée sur toute la sur- face de la grenaille, dont certaines parties sont restées avec l’éclat et le brillant de l’argent. Cette particularité m’a porté à penser que les parties oxydées sont celles qui ont été en contact avec les doigts, sans doute que la par- tie grasse et acide qui a adhéré à l’argent a condensé l’oxygène dans les parties dont elle a déterminé l’oxyda- tion. Cet oxide, pour être réduit par la chaleur, a néces- sité une température plus élevée que l’oxyde ordinaire ; jl a passé par la coloration noire avant que l’argent eût repris sa blancheur naturelle.

expérience. J’ai suspendu, par un moyen analo- gue au précédent, dans un flacon bouché à l’émeri, un petit tube fermé par un bout contenant de l’argent fin précipité. L’expérience a duré le même temps que la précédente, sans qu’il y ait eu oxydation de l’argent qui a conservé pendant tout le temps le même éclat; j’ai observé qu’il s’est dissous plus difficilement dans l’acide azotique.

et expériences, J’ai répété les deux expérien- ces dans le protoxyde d’azote : la grenaille d’argent a été suspendue comme précédemment; elle s’est oxydée dans

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX I33

quelques parties seulement qui ont passé au jaune pâle et n’ont pas foncé en couleur comme dans la première opération. J’ai attribué la formation de l’oxyde à la môme cause qui avait produit l’oxydation de l’argentdans l’oxy- gène.

L’argent fin précipité de sa dissolution azotique acide par ducuivrepur, puis lavé et séché, a été suspendu dans le protoxyde d’azote; il ne s’est nullement oxydé; il a con- servé pendant tout le temps son brillant primitif. Ce même argent, traité par l’acide nitrique, s’est dissous sans dégagement de gaz.

expérience. J’ai répété l’expérience précédente dans le deutoxyde d’azote humide ; l’argent s’est dissous sans que j’aie pu distinguer la formation du gaz nitreux j le flacon était peut-être mal bouché, ce qui aura permis la formation du gaz nitreux par la rentrée de l’oxygène et par suite la dissolution de l’argent.

EXPÉRIENCES FAITES SOUS l’iNFLUENCE DU COURANT

volta'ique.

expérience faite à l’abri de la lumière solaire di- recte. — J’ai suspendu au moyen d’un fil de platine un gramme d’argent fin en grenaille dans un ballon à trois

tubulures rempli d'oxygène humide ; par les deux tubu- lures de côté j’ai fait passer les pôles de deux éléments de Bunsen, les pôles venaient aboutir à quelques millimè- tres de l’argent. Au bout d’un mois, l'argent avait pris dans toutes ses parties une teinte uniformed'une couleur jaune d’ambre; j’ai continué encore quinze jours cette expérience sans observer aucun phénomène particulier. L’oxydation de l’argent n’ayant pas changé de couleur, j’ai démonté l’appareil ; la grenaille pesée avait augmenté de 5 milligrammes, j'ai continué de nouveau l’opéra- tion après avoir rempli le ballon d’oxygène et ai chargé de nouveau la pile ; au bout de trois semaines, l’appareil ayant été démonté, l’argent. pesé n’avait pas sensible- ment augmenté en poids, sa couleur était devenue seu- lement un peu plus foncée.

2'' expérience. J’ai remplacé dans cette expérience l’oxygène par le protoxyde d'azote, l’appareil est resté le même ; au bout de quinze jours, l'argent était oxydé et avait la même couleur que dans l’expérience précédente. J’ai continué l’opération encore huit jours, l’argent pesé avait augmenté de 6 milligrammes. J’ai renouvelé le gaz et chargé de nouveau la pile : au bout de quinze jours l'appareil ayant été démonté, l’argent pesé n’avait pas •sensiblement augmenté de poids, l’oxyde était seulement

LA TRANSMUTATION DES METAUX 1^5

devenu d’une couleur plus foncée, il était plus dense et moins attaquable aux acides simples, sulfurique et nitri- que, que celui de l’expérience précédente.

Ÿ expériences. J’ai répété les deux opérations précédentes sous l’influence de la lumière solaire avec un seul couple de Bunsen; l’oxydation de l’argent s’est ef- fectuée plus promptement dans ces deux expériences, et c’est encore dans le protoxyde d’azote qu’elle s’est effec- tuée plus rapidement; l’oxyde formé avait également plus foncé en couleur dans le protoxyde d'azote que dans l’oxygène. L’oxydation s’est également arrêtée au bout de quelques jours comme dans les expériences pré- cédentes ; c’est que l’oxyde forme une espèce de vernis insoluble qui empêche l’oxydation de se continuer plus profondément.

Ÿ et 6^ expériences. J'ai placé dans le courant d’un circuit voltaïque d’un couple de Bunsen, un morceau d’argent fin en grenaille de 0,745 milligrammes dans de l’oxygène confiné ; l’expérience a eu lieu sous l’influence directe des rayons solaires. L’oxydation de l’argent a été bien plus prompte que dans les expériences précédentes. Au bout de huit jours, tout le morceau d’argent était devenu complètement noir ; au bout de quinze, l’appareil était démonté, l’argent avait augmenté de 8 milligrammes.

10

I

l’or

J’ai recommencé l’opération et l’ai continuée encore quinze autres .jours ; la grenaille d’argent pesée avait aug- menté de 5 milligrammes. J’ai prolongé l’expérience pen- dant trois semaines en renouvelant le gaz et l’acide; au bout de ce temps, la grenaille pesée n’avait augmenté que de i milligramme 1/2.

J’ai traité la grenaille d’argent par l’acide sulfurique pur à froid ; il s’est dégagé quelques bulles de gaz au commencement, mais l’oxyde ne s’est nullement dissous. J’ai retiré la grenaille après l’avoir lavée à l’eau pure ; je l’ai plongée dans l’acide nitrique pur à 40“ ; l’oxyde ne s’est nullement dissous, seulement il s’est détaché de la grenaille. Cet oxyde traité par le mélange de deux aci- des, sulfurique et nitrique, s’est immédiatement dissous.

Cette même expérience ayant été répétée dans le protoxyde d’azote, l’argent s’est encore oxydé plus rapi- dement, et l'oxyde produit était plus dense et plus noir que celui obtenu dans l’oxygène ; il était moins attaqua- ble aux acides, mais soluble également dans le mélange des deux acides.

Cette même expérience étant répétée dans le deuto- xyde d’azote, toujours en plaçant l’argent dans le circuit voltaïque, il s’est oxydé très rapidement sans offrir rién de particulier dans la marche de l’opération qui a sensi-

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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blement été plus prompte que dans l’expérience précé- dente; dans ces trois expériences, l’oxydation de l’argent a commencé à se développer sur les parties saillantes de la grenaille qui ont passé promptement au noir, tandis que les parties creuses qui ont passé au rose verdâtre, puis au violet, qui a foncé en couleur par l’action du temps, mais sans acquérir la même intensité que dans les pointes et les autres parties saillantes.

Ces trois expériences ont été répétées dans mon labo- ratoire, beaucoup plus de temps y a été consacré ; cependant l’oxyde formé n’a point acquis les mêmes propriétés que celui obtenu sous l’influence du soleil.

J’ai remarqué que l’oxyde d’argent obtenu dans l'oxy- gène, dans le protoxyde et le deutoxyde d’azote, sous la double influence du circuit voltaïque et de la lumière solaire, nécessite pour être réduit une température de plus en plus élevée ; les parties qui sont les dernières à se dissoudre sont celles qui se sont oxydées les premières. L’oxyde devient aussi de plus en plus insoluble dans les acides simples, sulfurique et nitrique. Que les oxydes obtenus dans ces mêmes expériences à l’abri de la lu- mière solaire, nécessitent toujours une température plus élevée, pour être réduits, que l’oxyde obtenu par les procédés ordinaires. >

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l’or

N’ayant pu obtenir que de petites quantités d’oxydes par ces moyens, je me propose de recommencer ces expériences en opérant sur de la limaille d’argent sou- mise à l’influence du courant voltaïque, ce qui me per- mettra d’obtenir à la fois une plus grande quantité d’oxyde et de faire de nouvelles expériences sur cet oxyde obtenu par ces divers moyens.

J’espère présenter sous peu à l’Académie un second mémoire qui comprendra une partie de mes autres expé- riences que je continue depuis longtemps et qui appro- chent de leur terme. Elles mettront, je n’en doute pas, dans un nouveau jour, la possibilité de la transmutation de l’argent en or, c’est-à>-dire le phénomène tout entier si longtemps contesté et désormais incontestable, de la transmutation des métaux.

LES MÉTAUX SONT DES CORPS COMPOSÉS

DEUXIÈME PARTIE

DEUXIÈME MEMOIRE

PRODUCTION ARTIFICIELLE DE l’oR PAR l’oxYDATION DES SULFURES.

Les pyrites en décomposition fournissent presque tou- jours de l’or, c’est un fait bien connu, que j’ai eu occa- sion d’observer dans plusieurs contrées du Mexique, spécialement près de Sapotran el Grandé, se trouve une montagne du sulfure de fer en décomposition. La rivière qui passe au pied de cette montagne charrie de l’or en assez grande quantité pour donner lieu, dans la saison des pluies, à une exploitation lucrative.

Dans la contrée de Guanajuato, près des mines de la Luz, il existe aussi des pyrites en décomposition, on rencontre des veines d’or ; à la vérité, elles ne sont pas

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L OR

riches, mais elles confirment ce fait que, dans le voisinage des pyrites, on peut presque toujours constater la pré- sence de l’or. J’ai pu m’assurer que ces pyrites contien- nent des traces de sulfure d’argent. Dans mon opinion, c’est ce sulfure qui produit le plus directement l’or ; les autres sulfures peuvent éprouver la même transmutation, mais plus lentement, par un travail plus long, et le plus sou- vent en passant pardifférentes stations intermédiaires, tan- dis que le sulfure d’argent passe directement à l’état d’or.

Dans la première partie de mes mémoires sur la trans- mutation des métaux, j’ai signalé la mine de Sulfure d’ar- gent de M. Gonzalès, près de Cozala, comme l’une des mines de ce sulfure les plus riches^en or qui soient dans tout le Mexique. Cette mine, peu profonde, est voisine de sources d’eau chaude sulfureuse ; la transmutation du sulfure d’argent en or doit être certainement favorisée par l’élévation de température produite par la proximité de ces eaux thermales.

Guidé par ces observations, j’ai entrepris une série d’expériences, dans le but de constater si réellement, dans la décomposition des sulfures il se produit de l’or. Cinq de ces expériences ont été commencées en 18^2 ; sur ce nombre, deux seulement, la seconde et la troi- sième, ont pu être amenées à donner un résultat.

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX

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2' expérience. J’ai formé un mélange des substances

suivantes :

Silice pulvérisée 30 parties.

Alumine 20

Fer. 15

Cuivre 15

Argent 20

A ces substances obtenues à leur plus grand état pos- sible de pureté, avant d’en opérer le mélange, j’ai ajouté de la fleur de soufre, puis j’ai chauffé pour dégager l’ex- cès de souffre ; j'ai divisé de nouveau la matière, et je l’ai laissée pendant deux mois exposée au contact de l’air. Au bout de ce temps, je l’ai arrosée avec de l’eau aigui- sée de 1 5 p. 0/0 d’acide nitreux. J’ai eu soin d’agiter de temps en temps pour donner accès à l’air, et j’ai maintenu le tout constamment humide, en l’arrosant du même li- quide. Au bout d’un certain temps, la matière s’est oxy- dée ; il s’est formé des cristaux, des sulfates, des métaux en présence; la matière a pris une nuance verte. Afin que l’oxydation fût aussi complète que possible, j’ai continué à opérer de même pendant toute une année. Alors seu- lement j’ai soumis la matière à un essai pratiqué en pe- tit : j’ai obtenu des traces appréciables d’or.

J’ai soumis la matière à une chaleur assez forte pour

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l’or

décomposer les sulfates formés dans la première partie de l’expérience. J'ai ajouté de nouveau de la fleur de soufre en quantité suffisante pour transformer en entier la matière en sulfures.

J’ai recommencé l’expérience et l’ai continuée comme je viens de l’exposer, sans y apporter aucune modifica- tion ; j’ai renouvelé trois fois toutes les mêmes manipu- lations. La matière, essayée par le mercure, m’a donné, )

sur cent parties d’argent, 0,0012 d’or. i

5'’ expérience. J’ai employé, pour cette expérience, '

les mêmes substances, dans les mêmes proportions que pour L’expérience 2. J’ai fait dissoudre tous ensemble les métaux dans l’acide nitrique pur. J’ai ajouté à la dis- solution la silice et l’alumine pulvérisées ; j’ai fait passer dans la liqueur un courant d’hydrogène sulfuré, jusqu’à précipitation complète des métaux dissous. J’ai fait éva- porer jusqu’à siccité, puis j’ai exposé la matière au con- tact de l’air. La silice et l’alumine ont facilité la division des sulfures, et, par conséquent, l’accès de l’air dans la masse ; mon but était d’activer l’oxydation et de vérifier en même temps si la présence de la silice et de l’alumine ne favoriserait pas la transmutation. Au bout de six se- maines, j’ai arrosé la matière avec un peu d’acide nitrique étendu de quinze parties d'eau. J’ai continué cette ma-

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LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX I4J

nipulation comme dans l’expérience précédente. Quand la masse a été oxydée en totalité, j’en ai fait l’essai ; l’or m’a paru être en quantité plus faible que dans l’expé- rience n° 2. J’ai ajouté assez d’eau pour dissoudre tous les sels solubles qui s’étaient formés, puis j’ai fait passer dans la dissolution un courant d’hydrogène sulfuré, pour transformer de nouveau les métaux en sulfures; j’ai éva- poré l’excès de liquide, et poursuivi l’opération comme ci-dessus. J’ai répété trois fois cette même opération, sans avoir eu à signaler dans sa marche aucune particu- larité. La matière, essayée comme précédemment par le mercure distillé, m’a fourni, sur cent parties d’argent, 0,0010 d’or.

Le résultat de l’expérience n°i a été perdu : j’avais augmenté, pour cétte expérience, la proportion de la si- lice et de l’alumine, et diminué celle des métaux ; après avoir sulfuré la matière, j’y avais fait passer, à différen- tes reprises, un courant de protoxyde, et de deu- toxyde d’azote, en le faisant alterner avec un courant d’air.

L’expérience 4 a eu le même sort que l’expérience I ; j’avais ajouté au mélange précédent du zinc et de l’antimoine, avec un peu de chaux et de potasse. Les métaux avaient été dissous dans l’acide nitrique ; l’opé-

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l’or

ration avait être continuée comme dans la précédente ■expérience.

L’expérience n°^ était entreprise dans des conditions un peu différentes. Comme dans l’expérience n“ 3, je n’a- vais opéré que sur le fer, le cuivre et l’argent, en suppri- mant la silice et l’alumine, afin de m’assurer si elles con- tribuaient, oui ou non, par une action quelconque à l’acte de la transmutation.

C’est avec une douleur que les expérimentateurs com- prendront aisément, que j’ai vu se perdre ces expérien- ces ; je pouvais en recueillir des données précieuses, d’après lesquelles j’aurai opéré plus sûrement. Mais il m’est arrivé ce qui, malheureusement, a lieu trop sou- vent pour les expériences de longue^ durée, quand celui qui les entreprend n’est pas maître de son temps ; l’homme propose, et les affaires disposent.

Ce qui m’a fait terminer, plus tôt que je ne l’aurais pour arriver à un meilleur résultat, les deux expériences dont je viens de donner l’exposé très sommairê ; ■c’est la crainte de voir, en les prolongeant, se briser mes appareils. Par des essais renouvelés à différentes reprises pendant le cours de ces expériences, je me suis convaincu qu’à mesure que la quantité d’or augmente ■dans la matière, la quantité déjà produite en activait la

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production nouvelle ; il y a par conséquent tout à gagner à continuer et a prolonger l’opération. Il ne me peut plus rester aucun doute sur ce fait que dans l’oxydation des pyrites, il se produit journellement de l’or, mais que cet or n'apparaît que lorsque la transmutation des par- ties métalliques, modifiées dans leur état moléculaire, est complète. Or, il arrive souvent que ces parties modi- fiées dans la pyrite en décomposition, sont entraînées par les eaux dans le cours d'une rivière ou d’un fleuve voisin, s’achève la transformation d’un métal dans un autre ; le mouvement continuel que procure l’eau à ces molécules doit faciliter beaucoup cette opération, en les mettant à même, dans leurs parcours, décondenser la quantité de gaz propre à l’accomplissement de cette mé- tamorphose. C’est ce qui expliquerait pourquoi on n’aperçoit pas toujours l’or sur les lieux mêmes du gisement de la pyrite, parce que les matériaux, ne sont pas toujours propices à l’achèvement de ce phénomène.

Les matières employées dans mes expériences, et les proportions de ces matières, ont été choisies et déter- minées un peu au hasard. Ce n’est qu’en répétant les manipulations qu'on arrivera à des données plus cer- taines, et qu’on connaîtra mieux les corps les plus aptes à activer le phénomène de la transmutation. La pré-

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sence des chlorures, des bromures, des iodures et celle du soufre allié aux métaux, sont de simples intermé- diaires dont le rôle est d’activer la transmutation, la condensation de gaz qui s’effectue dans la matière et lui donne la forme du métal le plus parfait en produisant de l’or. C’est ce que je me propose de rendre encore plus évident par de nouvelles expériences.

N’importe, j'avance lentement vers le but, mais j’a- vance. D’après les expériences que je poursuis, j’espère qu’avant peu on composera des placers artificiels pour la production de l’or, tout comme on forme des nitrières artificielles; au fond, l’un n’est pas plus difficile que l’autre. De même qu’on le fait pour les nitrières, on fera intervenir l’air atmosphérique, d’où nous recevons tant, et tout retourne. C’est à nous à favoriser son action sur les matières que nous voulons transmuter; lui seul fera le reste, à ses dépens, dans un temps dont la durée, plus ou moins longue, variera suivant la température, la nature des corps que nous aurons mis en présence, ou les milieux dans lesquels nous aurons fait intervenir cet agent universel. En multipliant et variant les expériences de transmutations, nous rencontrerons infailliblement les moyens d’opérer promptement : alors les bénéfices pourront être immenses.

LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX 1 4?

Je suis convaincu que si l’on opérait sur un sol conve- nablement approprié à ces sortes de transmutations, on aitiverait à de meilleurs résultats qu'en opérant dans des vases de terre, dans lesquels l’action des courants magnétiques est faible ou presque nulle. Or l’action de ces courants doit être pour beaucoup dans les change- ments de l'état moléculaire de la matière, ce qui lui per- met d’absorber ou de condenser de nouvelles quantités de gaz, et d’acquérir ainsi des propriétés entièrement nouvelles, propriétés qui ne changeront que quand son état moléculaire sera rompu par son passage dans un nouveau genre.

Du train dont marche le progrès des sciences, ce qui eût, il y a un siècle, demandé cinquante ans et plus, pour l’utilisation pratique d’une idée féconde, peut de nos jours se réaliser en moins de dix ans, surtout si les efforts tentés dans ce but sont encouragés par une prime d’une valeur significative.

Pour moi, s’il m’arrive de voir se fonder, dans la plaine de Grenelle, une usine l’on composerait des placers artificiels pour la production de l’or, placers d’abord égaux et, plus tard, de beaucoup supérieurs en richesse à ceux de la Californie, je déclare que je n’en serai pas surpris ; car, dans ma conviction, tous les pla-

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cens du monde sont destinés à rester un jour bien en arrière de cette industrie, actuellement dans sa période d’incubation. Avec mes convictions ardentes et fermes, c’est un grand crève-cœur pour moi de n’avoir qu’un temps limité à consacrer à ces expériences, qui ont pour moi tant de charmes, et tant d’avenir pour le genre hu- main.

Je ne doute pas,, je n’ai jamais douté, que les alchi- mistes aient pu certainement faire de l’or, en faire beau- coup et réaliser des fortunes colossales : leur secret est mort avec eux. Il n’en sera plus désormais ainsi pour per- sonne ; tout le monde pourra faire de l’or, mais par des procédés variés, les uns avec perte, les autres avec bé- néfice ; toute la question est : longtemps encore, la solution du problème sera dans les manipulations.

Qu’il me soit permis de relever ici un fait très digne de remarque, et qui ^oïncide tout-à-fait avec mes idées. Depuis que de nouveaux procédés d’affinage, qui datent d’un demi-siècle environ, ont permis de retirer l’or con- tenu dans les anciennes monnaies d’argent, de grands bénéfices ont été réalisés par ceux qui ont pratiqué en grand cet affinage.

Les pièces postérieures à l’introduction de ces pro- cédés ne contiennent plus que des traces d’or ; c’est du

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moins ce que pensaient ceux qui ont présidé à leur fabri- cation. Comment se fait-il donc qu’aujourd’hui voici qu’on se remet à rechercher notre monnaie d’argent, qu’on affirmait ne plus contenir d’or, et qu’on réalise des bénéfi- ces en en retirant néanmoins de nouvelles quantités d’or, ce qui fait que, de jour en jour, notre monnaie d’argent disparaît de la circulation ? Le fait ne peut pas être nié.

Sans sortir du point de vue purement chimique de la question, je fais remarquer que ceux qui fondent ‘des pièces de monnaie d’argent, pour en retirer de l’or opè- rent une véritable transmutalion ; de l’or artificiel se pro- duit et s’ajoute à l’or existant déjà dans la pièce de mon- naie ; c’est par qu’en dépit de manipulations dispen- dieuses, la fonte et l’affinage des monnaies d’argent pro- cure des bénéfices élevés. On n’entrevoit pas de terme à cet état de choses qui, par le perfectionnement des procédés pour la transmutation, ne peut que prendre plus d’extension de jour en jour ; il conduit, ainsi que je l’ai prévu dans la première partie de mes mémoires, à la démonétisation de l’or, fait déjà accompli dans la Hol- lande, puis à la démonétisation de l’argent. Les métaux précieux cesseront d’être le signe des valeurs ; ils seront marchandise^ tout simplement, et le soleil ne s’en lèvera pas moins à son heure.

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l’or

En attendant, l’art des transmutations, cet art qui doit si profondément remuer le monde, progresse et s’avance vers sa période industrielle ; qu’on essaie donc de le nier ?

CONFÉRENCE

Faite à Paris, Je 'l 6 Mars i88<)

Messieurs,

Encouragé par le bienveillant accueil fait par le public à mes premières conférences, malgré quelques critiques amères qui s’y sont mêlées. Je viens aujourd’hui vous remercier de votre aimable concours, et je vous promets de n’épargner rien pour le mériter de plus en plus. C’est pourquoi. Messieurs, je me présente à nouveau devant vous, pour vous donner une preuve déplus de la réalité de ma découverte et de son importance.

Messieurs, vous le savez, je ne suis ni un charlatan ni un de ces hommes sans foi ni loi qui font argent de tout je ne veux et ne cherche qu’une chose, la gloire et le bonheur de ma Patrie. Humble disciple des Hermès^ des Paracelse et des Van Helmont, je m’honore du titre d’Alchimiste, titre jadis synonyme de sorcier, titre diffi-

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cile à porter, dangereux même à soutenir pendant cette longue suite de siècles d’ignorance et de superstition, tout phénomène chimique passait pour i’œuvre du dé- mon, siècles à certains égards peu dignes de regrets, un simple fabricant d’allumettes eût été brûlé vif sur un bûcher allumé avec les produits de son industrie.

Oui, Messieurs, je suis alchimiste, j’aifait del’or, j’en fais encore tous les.jours, en quantité très limitée, il est vrai, et dans les conditions d’une expérience de labora- toire ; mais je touche peut-être au moment de livrer au monde savant un procédé pour faire de l’or dans les con- ditions de la grande industrie, comme on fait du verre, du bronze, comme M. Deville est parvenu à faire de l’Aluminium, comme on fait aujourd’hui du* Magnésium.

Voilà bientôt 50 ans que je lutte pour faire connaître cette vérité de l’or artificiel, basée sur un fait indénia- ble.

Pris en pitié par les uns, tourné en dérision par les autres, repoussé durement par ceux qui semblaient de- voir le mieux m’accueillir, je suis aujourd’hui à me de- mander ; que faut-il faire, que faut-il dire, après toutes mes affirmations de sincérité restées stériles. L’incrédulité à mon égard est tellement grande qu’on se bouche les oreilles pour ne pas entendre, et qu’on ferme les yeux

FAITE A PARIS LE l6 MAI 1889 I^J

pour ne pas voir ; tant on est fanatisé par cet or, on ne veut rien entendre qui puisse porter atteinte à sa valeur, à sa puissance, en un mot, c’est un dieu qu’on adore.

Il faudra bien pourtant se rendre à l’évidence de ce fait capital de l’or artificiel qui a trop d’importance pour qu’il puisse passer inaperçu.

Les imaginations sont en travail etles esprits en quête du progrès, « disait il y a quelques semaines le général Février dans son adieu à ses soldats. « Malheur à celui

qui s’arrête en chemin, il est bien vite distancé ! Ne

vous attardez jamais en route, prenez la tête du mouve- ment et ne la quittez plus. »

Ces sages et patriotiques conseils m’ont poussé à por- ter à la publicité cette heureuse trouvaille que j’ai long- temps tenue cachée au public. D’ailleurs, arrivé au déclin de l’âge, j’ai cru que ma conscience me faisait un devoir de parler haut, c’est pourquoi j’ose aujourd’hui me pré- senter devant vous. Messieurs, pour vous exposer mes principes sur la transmutation des métaux. Ils m’ont conduit à un long et périlleux voyage, à de laborieuses recherches, et enfin à une découverte inespérée dont les conséquences encore indéterminées, promettent à notre pays un avenir brillant de gloire et de prospérité.

Le point de départ de mes convictions et de mes re-

CONFÉRENCE

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cherches sur la transmutation des métaux, la clef de tout le système, c’est l’unité de la matière.

Cette idée, que la matière est une comme l’essence est la volonté de son créateur, et, que tous les corps admis en qualité de corps simples pour les savants, sont ceux dont on ne peut pousser plus loin la décomposition, cette idée, dis-je, est à mon sens parfaitement rationnelle. En réalité, il n’y a pas de corps simples, pas plus parmi les métaux que parmi les autres corps ; il y a la matière une dans son essence, soumise à des lois en partie inconnues, en partie connues, et appliquées à volonté par le savoir hu- main, lois en vertu desquelles la matière se montre à nous sous des formes tantôt variables, tantôt permanen- tes, il n’y a rien de plus.

Telle fut la base des doctrines des alchimistes d’autre- fois, et les savants de nos jours arrivent à en conve- nir, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, les alchi- mistes étaient dans le vrai.

Ces idées ont encore si peu cours dans le monde, elles renversent tant de théories, actuellement en possession de la science, si cette expression m’est permise, que j’ai besoin de m’appuyer de l’autorité d’un grand nom, Lavoi- sier, un des pères de la chimie moderne, qui n’osant avouer pleinement ses convictions sur un sujet aussi sca-

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breux, les a laissées entrevoifj en montrant conduit sa théorie non contestée du calorique. On sait que Lavoi- sier désigna le premier sous ce nom la force inconnue et mystérieuse qui produit sur nos organes la sensation du chaud et du froid, qui dilate les corps par sa présence et les fait passer par les trois états : solide, liquide et gazeux. Or Lavoisier fait remarquer qu’en élevant seule- ment à 100 ou 120 degrés la température moyenne delà surface du globe j l’eau disparaît : plus d’Océan, plus de lacs ni fleuve, tout cela fait partie de l’atmosphère, plus de végétation, plus d’êtres animés. Chauffez encore un peu, des ruisseaux de plomb, de zinc et de bismuth vont couler comme de l’eau ; continuez à élever la tempéra- ture, il n’en est pas de si élevée que l’on ne puisse suppo- ser susceptible d’un degré supérieur, un moment viendra la terre sera à l’état de fusion ignée, par lequel elle a évidemment passé ; chauffez encore, le liquide igné deviendra une masse de vapeurs incandescentes avec un noyau comme les comètes, puis un assemblage de va- peurs d’une ténuité extrême comme celles des nébu- leuses, enfin à quelques milliers seulement de degrés pyrométriques, il n’y aura plus que des molécules telle- ment divisées qu’il sera permis de douter de leur exis- tence, supposez la décroissance du calorique en sens

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inverse, vous aurez successivement une nébuleuse, une comète, une planète, enfin dans toutes les conditions nous voyons la nôtre aujourd’hui.

Si volonté du créateur, par l’action d’une seule force, le Calorique, peut faire subir à la matière toutes ces transformations, que deviennent en tout cela les corps simples et les corps composés? N’était-ce pas, autant qu'on pouvait l’affirmer implicitement dans ce temps-là, l’unité de la matière ? Si la matière est une, si la science peut lui faire prendre à son gré tant de for- mes diverses, pourquoi un pas de plus en avant ne lui permettrait-il pas de reproduire aussi à volonté les for- mes des divers métaux, spécialement celles des métaux précieux ?

J’ai raconté plus haut mes luttes et mes travaux de- puis 1848.

Parvenu après trente années du plus opiniâtre labeur à acquérir une modeste fortune, je résolus en 1884 de reprendre mon travail sur l’or et de le conduire à bonne fin.

En 1885, j’écrivais à M. Berthelot une lettre restée sans réponse. Ne Croyant pas encore le moment venu de parler, je continuai mes travaux dans le silence de

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mon laboratoire ; Enfin, trouvant dans mes nouvelles expériences à l’appui de ma découverte un fait appelé à jeter une clarté sur le phénomène de la transmutation des métaux, je déposais en juin de l’année dernière un pli cacheté à l’Académie des sciences sur le nouveau fait. C’est alors que je me suis adressé à’ mon pays en écrivant d’abord à Messieurs les membres de la Com- mission du budget, puis à Messieurs les Sénateurs et Députés. Je viens aujourd’hui insister plus particulière- ment auprès de vous. Messieurs, pour que vous me veniez en aide.

A mon point de vue, les réactions sous l’influence desquelles a lieu la transformation des métaux, constituent un phénomène complexe le principal rôle appartient aux éléments atmosphériques. Ce sont eux qui opèrent journellement ces m.étamorphoses dont nous ne pouvons suivre le cours, tant les effets en sont lents, à com- mencer par le potassium et le sodium pour finir par les métaux précieux Argent, Or et Platine.

L’air doit agir premièrement par ses éléments simples, puis par ses éléments combinés.

Le second agent indispensable à toutes ces transfor- mations métalliques c’est l’eau, le grand dissolvant de la

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nature se renouvelant sans cesse, toujours en mouvement, que j’appellerai la mère nourricière par excellence de tous les corps. Elle se charge de fournir par elle-même la nourriture propre à toutes les individualités minérales : En effet nous la voyons s’élever dans cette atmosphère à l’état de pureté pour puiser ses éléments: Oxygène et Azote et autres corps qui s'y trouvent en minimes quan- tités ; toutes les molécules de ces différents corps sont plus ou moins modifiées par les astres, surtout par le soleil qui vient les vivifier et les rendres aptes à être assimilées à ces différents êtres suivait leur âge, pour constituer cette grande famille du règne minéral. Cette eau en des- cendant sur terre va se charger de nouvelles substances, des nitrates de potasse et de soude et autres, puis pour- suivant son œuvre, elle iraverse la mince couche d’hu- mus, puis les terrains d’alluvion elle va commencer par fournir la nourriture à ces êtres qu’elle va rencontrer sur son passage. Elle, ensuite pénètre dans les roches métallifères, associées à divers autres corps, des Chloru- res, des Pyrites, des Carbonates et elles vont se rencon- trer avec les nitrates alcalins, d’où vont résulter des réac- tions chimiques ; des courants électriques et magnétiques vont se produire; ces roches vont être décomposées ; de ces différents corps en présence, sous des pressions

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et des températures diverses, des réactions multiples, des dissociations de certains de ces corps vont se pro-